J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015

Ajustements d'Images

ETATS DES YEUX | Octobre 2024 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 40 | Automne

 

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Quand les vents sont contraires,

appuie sur eux ton échelle et grimpe

 

Attends que ta colère

comme le vent se fatigue

 

Pose une pierre sur ton ombre

et pars en courant

 

Si tu sais aimer le plus bête des cailloux

tu sais aimer

 

Mon ami Tchang dit

que les vraies amitiés

sont comme les neiges éternelles

elles sont tout en haut

 

Jean-Pierre Siméon

Le livre des petits étonnements du sage Tao Li Fu

CHEYNE éditeur, 2016

 

 

Reprise des notes ici, plusieurs événements déclencheurs

Besoin de faire le point sur l'écriture rassembler les idées d'abord

Dépasser l'écoeurement et le découragement...

Encore une fois la vie déborde et dévaste

je ne digère plus  mentalement le trop plein

le trop plein de mort

le trop plein d'images glauques

le trop plein de mots vides 

Les lâchetés et les violences s'agglutinent à longueur d'écran

Le struggle for life affiche ses combines et ses exactions

L'enfance est massacrée, profanée

Des femmes sont bridées, violées et parfois tuées

La misogynie revient en force aussi dans la politique

Dans les comportements mafieux et complaisants

les dictatures prospèrent et gangrènent la justice

les peuples sont trahis et instrumentalisés 

le dieu pognon décide qui doit vivre et qui doit mourir

Rien de nouveau sous le soleil  mais celui-ci est devenu

un ennemi, un pilleur d'eau même contaminée

On attend que ça pète et ça hurle déjà au plus fort

au plus malin au plus cynique au plus méprisant

Même le Printemps des Poètes en rajoute sans le vouloir

Il prône La poésie volcanique... comme si ça ne suffisait pas...

le grabuge le chaos la débandade l'exode la mutilation le marasme

Je ne crois plus à la naïveté  aveugle d'une poésie qui sauve  le Monde,

d'ailleurs le mot Sauveteur est masculin et porté aux nues quand ça arrange

Il permet de justifier toutes les guerres et les passages à l'acte perpétuels

Les agressions et les sauvetages font s'égosiller les sirènes partout  dans la cité

Des couteaux perforent, des explosions déchiquettent,

Des détresses, des destins brisés sont enfouis sous des silences et des gravats.

La spirale du crime se répand dans la plupart des pays

sous  la tutelle des marionnettistes géodélocalisés

 

J'ai peur des bombes, des drones, des avions de chasse, des ouragans

et des volcans. J'ai peur des hommes qui  partent tuer des vivant.e.s,  

les enferment, les refoulent ou les torturent au physique comme au mental.

Tous les jours nous abreuvent avec les images de haine à côté des scores du CAC 4o

ou de la nouvelle tenue vestimentaire de l'épouse du président,

de l'inconséquence de gros bébés hargneux à jouets nucléaires... 

La coupe est pleine et je n'écrirai pas de poème utile dans ces conditions. 

Je vous trouverais du courage à en avoir encore envie

Car pendant ce temps là et cela m'attriste, les egos des poètes et des artistes cherchent une niche  confortable pour continuer à créer dans la pagaille générale. Ils courent tous et toutes après les sous de subvention ou de mécénat pour prendre de la distance avec la réalité, en parler en "spécialistes" avec des mots justes et excitants.  Aujourd'hui on va "chercher la parole" des gens pour en faire des livres et de jolies fictions qui font vibrer le cortex émotionnel et sensuel. Le parler mal et vulgaire fait la Une. On choisit soigneusement les insultes et on les répète sur les chaînes de TV... Le bégaiement haineux et moqueur remplace l'analyse et le respect de l'autre, le débat équitable. Jeu de miroirs déformant. Ping Pong de la médiocrité. La société actuelle favorise cette recherche de mise au pilori et il faut changer de bouc émissaire pour ne pas s'ennuyer... On n'y comprend plus rien...  Mensonges et sur-mensonges, fake news comme sport international. On n'a pas le temps de penser d'aplomb... On tombe dans l'idiotie et le spectacle graveleux... Rien d'intéressant dans tout cela. 

Alors je préfère écouter de la musique et ne plus répondre aux orgueilleux.

 

A l'instant... Pluie de missiles depuis l'Iran...

Une femme en veste rose fuschia parle devant une image de ville en miettes...

Tellement banal  tellement odieux tellement triste

 

 


Hommage intime et ultime à l'Ami Charles JULIET (1934-2024)

           

JUJURIEUX CHARLES ET ML JULIET photo Mth privée


 

"UNE VRAIE LETTRE"

 

 

Tenter de dire écrire. Ou plutôt comment

j'écris ; en cette matière, chacun ne peut 

parler que pour soi, faire ce qu'il peut avec

ce qu'il est. On ne se dépasse pas. [...]

On ne change pas de peau comme de chemise;

or écrire, c'est risquer la peau, pas la chemise, sauf 

erreur.

 

Antoine EMAZ, D'écrire un peu, 2018,

AENCRAGE & Co 

 

       

Cher immense Ami ,Charles,

                                                            Les mots me reviennent lentement, un à un,  comme des enfants penauds devant ta disparition trop soudaine. Je ne l'ai pas encore dit à ton jeune copain A. qui me demande parfois de tes nouvelles. Pour ma part, je n'encaisse toujours pas ton départ irréversible. Bien sûr, tu disais que le moment approchait, que tu le sentais, que tu le vivais, que tu étais serein dans ta tête. "Il ne me reste pas beaucoup de temps", "mon temps est précieux", "je dois travailler à mon Journal", "je classe mes notes, j'avance", "à Jujurieux je n'arrive pas à écrire, il fait trop chaud dans mon grenier, maintenant j'écris en bas pour être auprès de M.L"... Le sourire, la gêne ou la gravité qui accompagnaient tes propos résonnent encore dans mon oreille. J'avais pourtant bien mesuré la différence entre ce que tu disais, ces trois dernières années et la réalité supposée qui me faisait douter de la facilité de ton vieillissement accéléré, sans indice suffisant. Je m'y attendais en sourdine... A fortiori,  ta vitalité, de moins en moins détectable, après la longue maladie d'Alzheimer de ta compagne, ton soutien continu à ses côtés, puis son décès dans des conditions de déconfinement covid encore pénibles et contraignantes. Elles ont rendu les choses presque inhumaines en Septembre 2020... Nous avons pu tout de même l'accompagner ensemble le 15 Septembre, jusqu'à la sépulture généreusement ouverte par ta famille d'adoption : les RUFFIEUX, chère à ton coeur. Depuis la mort de ta précieuse M. L , toutes les calamités se sont accumulées pour se liguer contre ta santé. Les limitations physiques de l'âge ont fait le reste. Ton sentiment d'immortalité et non d'invulnérabilité en a pris un coup. "Ce sont les circonstances qui ont dicté mon silence " m'as -tu dit, au début... "Pardonne-moi", "Beaucoup de choses ont changé "...  Et en effet, je n'ai pas compris tout de suite, les raisons de ton éloignement  soudain et surtout ce qui se tramait pour toi avec tes difficultés de plus en plus grandes de maintien au domicile. J'ai eu du mal à glaner de tes nouvelles en direct à cette époque. Tu étais souvent hospitalisé... D'innombrables chutes t'ont conduit aux urgences, tu te fustigeais en disant que c'était ta faute, et tu ne voyais peut-être pas venir un diagnostic médical qui a tout expliqué ou presque. C'était la nouvelle donne... Par la suite, et sous médicaments, sédaté, je t'ai vu confus et peinant à former tes phrases. "Je ne sais plus parler"...  Bardé de sagesse, tu as pris ton sort en patience. Tu as retrouvé des forces mais beaucoup perdu en autonomie. Tu as organisé ta petite vie rétrécie autour de ton lit médicalisé. Tu ne renonçais pas à exprimer tes exigences, mais tu laissais faire la nature, tu semblais résigné et docile. Mais ce n'était que l'apparence. Ta tristesse a pris la forme d'une certaine pente dépressive. La médecine a fait face... Tu as fait le vide relationnel autour de toi , ou tu l'as subi... Tu as eu besoin d'être à nouveau materné... J'avais du mal à comprendre comment tu vivais les choses de l'intérieur "au présent", tes paroles sont devenues rares et évasives.  Tu étais redevenu le taiseux que j'ai bien connu au début de nos rencontres, sauf dans tes livres. Mais " l'amitié intacte" m'as-tu dit, était là, elle a su garder sa place un peu cachée, parfois brouillée par des interférences. C'est ainsi que tu as cultivé et parfois un peu négligé tes nombreux jardins d'amitiés féminines un peu pressantes. Tu aimais l'exclusivité et cloisonner les personnes que tu rapprochais de ta voix... Tu t'étonnais souvent qu'elles se connaissent et qu'elles se parlent... Tu n'y tenais pas... Dans la dernière année, chaque moment de contact même dilué dans la routine hospitalière a été précieux. Les silences ont pris de l'ampleur, les gestes suffisaient, les regards surtout, je me souviens des clins d'oeil dans la foule, véritables transgressions réjouissantes ... Tu étais un séducteur discret et moins timide que dans ta jeunesse. A présent, tu vivotais dans ce décor si peu naturel, dans l'une de ces  " chambres exiguës étouffantes " et parmi les intrusions fréquentes. Certaines personnes aux avant-postes, ont joué les soutiens et les intermédiaires avec " le corps médical " jusqu'à ton admission en EPHAD, faute d'alternative. J'ai regretté qu'elles n'aient pas sollicité davantage ton entourage amical élargi et serviable. C'était ton choix, m'a-t-on-dit et tu as opté pour une structure plutôt vieillotte et défraichie, au fonctionnement austère, presque militaire. Finalement, ça devait t'aller... j'imagine...Tu connaissais le Directeur et avait envisagé que M. L . y  soit admise si elle avait survécu... Un cahier d'émargement à l'entrée et une présence de cerbères tant au téléphone qu'au seuil de cette grosse maison engoncée et accrochée à la colline de la Croix-Rousse, m'ont vite dissuadée de venir constater de visu ta situation et de recueillir tes impressions. J'ai été très en colère de cette orientation et des mesures de protection juridique qui t'ont été imposées. Je savais qu'elles allaient accélérer les choses et t'assigner au lâcher prise .. Tu auras tenu six mois et demi dans cette dernière chambre étrangère à ta vie... Je suppose que tu gardais de bonnes relations avec le personnel et que tu as pu être sécurisé par la ritualisation  et la prévisibilité monotones de tes journées. Heureusement, j'ai pu me rassurer à mon tour en échangeant plusieurs fois au téléphone avec toi lorsque ta ligne personnelle a été indépendante du standard.  J'ai très mal vécu cette période, puis je me suis résignée moi aussi à cet empêchement  inédit de notre relation habituelle joyeuse et chaleureuse . Après  27 ans de dialogue ininterrompu,  de l'automne au printemps, nous avons donc été séparés, incompréhensiblement mal, et sans anesthésie... Je garderai de toi ce goût d'inachevé, comme un abandon réciproque et involontaire.  Le 10 Juillet, je t'annonçais mon départ imminent en Ardèche et que tu allais recevoir une énième carte postale... Ce jour là, ta voix était très claire, comme ressuscitée... Ta mort m'affecte profondément... Pour me consoler, je souris de voir que jusqu'au bout, sur la photo de Didier Pobel qui t'a vu la veille de ton départ,  tu as gardé ta montre à bracelet de cuir au poignet que je regardais souvent et cela m'a amusée, même si cela ne te servait désormais qu'à attendre l'heure du repas, du journal télévisé, d'un match de rugby, ou encore écourter une visite importune, avec un coup d'oeil distrait mais visible de ton interlocuteur ou trice, j'imagine que tu reprenais souverainement,  ton temps à toi. Tu étais un homme de rendez-vous et d'attentes.  Sur la photo toujours, tu avais quitté tes lunettes, tu les quittais toujours quand quelqu'un voulait te photographier... à 89 ans, tu n'en avais plus vraiment besoin.  Le goût de la lecture s'était étiolé...Ta dernière tenue simplifiée m'a intriguée. Le polo léger à ras le cou, toi qui aimais protéger ta gorge. Tu portais souvent un foulard ou une écharpe, et dès l'automne une casquette. Mais j'ai reconnu ton pantalon élégant, sa couleur... J'avais en tête nos derniers dialogues, jusqu'à que je te raccompagne en bas de chez toi, peu avant tous tes tracas... Il me semble que c'était hier... Le rituel ludique des aurevoirs à répétition ( se retourner au moins deux fois pour faire un signe de la main) le sourire aux lèvres. La confiance des retrouvailles régulières pendant des années...Le bonheur fou des retrouvailles... Le supplice et le délice de l'attente récompensée... Après la mort de M.L. nous mangions souvent ensemble.

Pour qualifier notre Amitié vive, je pensais à l'histoire du Petit Prince et à son protocole de l'apprivoisement avec son risque de perte associé. Ce n'était pas la couleur des blés qui nous reliait, mais la moisson de tes livres que je tenais et tiens toujours et désormais plus encore près de moi, pour entendre définitivement ta voix jusqu'à ma propre mort. Ta voix vivante, je ne l'entendrai plus en aparté et elle me manque affreusement ... Je suis contente qu'il existe une ressource de l'enregistrement de tes lectures ou conférences sur internet. Les émissions littéraires radiophoniques et télévisées depuis Bernard Pivot, Philippe Lefait (Les mots de minuit), Alain Veinstein (Du jour au lendemain), François Busnel ( qui te prédisait le Nobel... devant ton air dubitatif) m'ont permis de voir le décalage entre ta vie publique et ta vie privée. Tu n'aimais pas la vie mondaine, l'esbrouffe, la vantardise, tu étais très sévère sur le comportement de tes contemporain.e.s,  tu décelais la moindre trace d'orgueil et de vacuité dans leurs propos ou leurs livres. Tu prétendais souvent déceler qui d'entre eux ou elles avaient effectué "la grande aventure ", pour passer du moi au soi... Tu pouvais en parler pendant des heures et argumenter ton jugement. Tu l'as écrit parfois... Il t'est arrivé à plusieurs reprises de t'éloigner d'écrivains homme ou femme qui t'avaient déçu ou incommodé. A Paris, pour rencontrer ton éditeur principal P.O.L, tu allais systématiquement chez Sylva Villerot dans le quartier du Marais et votre amitié de jeunesse, partagée avec M.L a survécu jusqu'à leur disparition à toutes les deux. La fille de Sylva , Laurence a grandi sous tes yeux, elle te voue une affection filiale et réciproque. Les plus belles photos de toi, notamment sur le site de P.O.L sont de Sylva. Une page a été tournée au moment de la parution du volume X de ton journal.

Mes souvenirs se mêlent à tout ce que j'ai pu glaner te concernant, et j'ai l'impression de te connaître bien plus que la réciproque. Je n'ai jamais cessé de te lire. Pourtant mon histoire familiale rejoint la tienne et celle de milliards de personnes confrontées aux traumatismes de la vie. Je n'aurais jamais cherché à écrire, si je ne t'avais pas rencontré. J'ai eu conscience très tôt de l'intérêt du silence lorsqu'il évite la propagation de l'angoisse, là où il faudrait la neutraliser pour passer à autre chose. Non pour la nier, ou la sublimer. Plutôt pour l'identifier, la circonscrire et la tenir en respect.  Ton oeuvre témoigne de cet effort parfois surhumain pour dépasser le sentiment d'indignité ou de malédiction, pour accepter ce qui advient en toute lucidité, sans crispation, ni lâcheté. L'un de tes poèmes les plus forts est resté gravé dans ma tête et mon coeur...  Il  figure en quatrième de couverture de Affûts.  J'aime l'entendre dans ta voix comme dans celles de femmes comédiennes qui l'ont repris. Il est sans doute pour moi le meilleur de tes autoportraits.

 

chassé

livré à la nuit et à la soif

 

alors il fut ce vagabond

qui essaie tous les chemins

franchit forêts déserts

et marécages

quête fiévreusement

le lieu ou planter

ses racines

 

cet exilé 

qui se parcourt  et s'affronte

se fouille et s'affûte

emprunte à la femme

un peu de sa terre et sa lumière

 

ce banni que corrode

la détresse des routes vaines

mais qui parfois

aux confins de la transparence

hume l'air du pays natal

et soudain se fige émerveillé

 

Affûts, Poèmes , P.O.L, 1995

 

Il me faut à présent me résigner à terminer cette lettre, la dernière de celles que je t'aurai adressées . Je te laisse nous quitter et nous laisser dans le silence lumineux et blafard d'un été douloureux. Je reçois toute ta compassion et le courage que tu nous donnes pour nous séparer. Tu es délivré des mots, tu n'as plus rien à prouver. L'amour est partout où ton souvenir rejaillira. Tu es comme "l'épervier qui prend son vol" conquérant et moqueur, loin de ces volières de "stupides tourterelles"... Tu voulais la paix, la voici ! Et elle est éternelle à souhait. Qu'en feras tu mon Ami perdu ?

 

Avec toute ma tendresse.

Marie-Thérèse PEYRIN

inédit

 

 

 


ETATS DES YEUX | Mai 2024 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 22 | Printemps

CETTE NOTE EST MON 108 ème AJUSTEMENT D'IMAGE (s)

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Il y a des choses qui occupent tellement leur place

qu'elles parviennent à se déplacer elles-mêmes

et repoussent tout alentour,

comme d'invraisemblables créatures qui débordent de leur peau

et ne peuvent se réabsorber.

 

Ainsi parfois la poésie ne me laisse pas écrire.

L'écriture reste alors écrasée

comme la pâture sous un gros animal.

Et il n'est possible de recuellir que peu de paroles

piétinées dans l'herbe.

 

Mais tout poème n'est qu'un balbutiement

sous le balbutiement sans fin des étoiles.

 

Roberto JUARROZ, Treizième poésie verticale

 

 

En Janvier je notais : Le silence est une voie d'attente que j'ai choisie sur ce thème précis : la mort des gens que j'aime.

 

Tout va trop vite désormais. C'est ma vie tout entière qui glisse vers un certain silence. L'anecdote quotidienne ne fait pas le poids face à ce qui se trame et qui engloutira tout. Mais le paradoxe surgit, étonnamment rebelle, celui de ma joie de vivre, constellée de petits miracles. La vie autour regorge de circonstances plus ou moins heureuses qui défilent comme des comètes. Au loin, le drame des guerres, si proches mentalement par tous les récits familiaux et les témoignages incessants qui pullulent dans les livres et les reportages. L'humain ne sait pas rester en paix pour attendre sa propre mort et il l'inflige aux autres de toutes les manières. Mort physique, mort sociale, mort spirituelle, toutes les morts s'additionnent et ne reste que le silence sépulcral que tout le monde fuit. Du bruit partout et en toute impunité, les décibels sont semés et récoltés comme du blé dru, leurs grains éclatent sous la pression des amplificateurs. C'est la grand moulineuse à sons inarticulés mêlés aux paroles vaines qui nous étourdit et nous égare dans le présent. Apprendre à chercher le silence demande du courage et un renoncement sans repentirs. J'ignore si j'en suis capable encore. Et pourtant, je savoure l'absence de mots et d'histoires dans une forêt qui n'est même pas comptable de son destin. Chaque arbre tait sa propre histoire, il se laisse dévorer et décimer sans commentaire. Il n'y a pas plus déchirant que le craquement sinistre d'un arbre percuté par la hache électrique qui  s'effondre de toute sa hauteur au milieu des siens. L'arbrisseau n'a pas la main sur ce qui conditionne sa croissance hormis cette propension à la survie séminale nichée au coeur de ses racines. Et que dire à l'échelle humaine, sur toutes ces populations déracinées qui  n'ont pas comme moi la possibilité de s'arrimer au passé et de pouvoir secrètement le visiter au fil de souvenirs vibrants.

 

Racines Pilat

 

 

 

 

 

 


ETATS DES YEUX | Janvier 2024 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 04

CETTE NOTE EST MON 107 ème AJUSTEMENT D'IMAGE (s)

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Semaine 4 Année XXIIII -  Mercredi  24 Janvier

La mort  la vie tout se mélange depuis ce début d'année et l'écriture pourtant vivace se retrouve coincée comme cette famille de violettes au seuil d'un édifice religieux. Quelque chose d'impérieux aspire à la lumière que tout seuil embrigadé de bois et de clous cherche à confisquer. C'est bien dehors que tout se passe, dans l'air des rencontres, même posthumes. Les naissances sont des appels d'air et de courage. 

 

"La mort arrive la vie s'en va" disait J. à ses proches les derniers temps.

Roger Dextre n'a pas eu le temps de dire grand chose, un courant d'air l'a soulevé.

Deux bébés sont venus toquer à nos oreilles : une fille et un garçon.

Pour un début d'année

c'est plutôt contrasté.

 

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J. au balcon - auréolée de sa Bignone Ardèche

 

    Ma chère J., qui n’est pas que la mienne... Curieusement, nous ne nous sommes jamais écrit avant... C’est la troisième et dernière lettre que je t’envoie, pour la première que tu n’as pas reçue, et dans  ma confusion du moment, j’avais mis le numéro de rue de notre ancienne adresse parentale, la lettre m’est revenue (un mois plus tard...) Je t’en ai écrit une deuxième... Entre-temps ta santé s’est beaucoup dégradée... Tout est allé trop vite...Un an après ton cher Jo tu as pris la même route vers le lieu mystérieux connu de vous seuls, et où tu voulais le rejoindre. Peut-être la grotte où il se cachait pendant l'occupation allemande dans la garrigue profonde ? Ta maladie invasive et douloureuse t’a donné un furieux élan et nous voici tous ensemble, bras ballants et profondément chagriné.e.s par ton grand départ pourtant annoncé.

Qu’as-tu laissé derrière toi de nos tendres souvenirs d’enfance ? Nous n’avions pas fini d’en faire l’inventaire, tu le sais. Tu aimais en parler, et j’aurais aimé pouvoir le faire encore en ta présence, dans ton salon, de vive voix.

Tu fais partie de nos vies depuis la naissance de notre petit frère P., et même avant, lui qui est devenu le vôtre d'enfant, dès Février 1966, j’avais 9 ans... Tu as épaulé et soulagé la vie de notre mère comme personne avant toi. On vous appelait  « travailleuses familiales » et vous vous êtes succédé chez nous pour aider notre mère épuisée. Tu avais compris sa détresse dans cette famille trop nombreuse où elle perdait courage, moral et santé. Grâce à toi, elle a pu reprendre des forces et vos relations sont devenues très solidaires, amicales et complices jusqu'à sa mort en 2003.

Vous vous compreniez sans avoir besoin de parler, vos conciliabules étaient permanents et tu as pris une place de plus en plus grande dans son cœur. Lorsque je vous regardais, j’avais l’impression de voir deux grandes personnes presque soeurs plutôt graves et très protectrices. Je ne t’ai jamais entendu crier , ni gronder, tu cherchais toujours à comprendre, à apaiser, tu aimais t’occuper de nous malgré notre désordre, nos chamailleries et nos bêtises.  Tu m’avais appris à débusquer la "poussière verticale "sur les meubles cirés, je n’avais pas compris jusque-là  que ça pouvait exister... Tu m’as raconté une kyrielle de souvenirs dont je ne me rappelais plus. Tu me disais que je me réfugiais dans mon lit pour découper et écrire sur plein de petits papiers que tu ramassais par terre, ça te donnait du boulot supplémentaire mais ça te faisait rire aussi. Tu savais rendre "nickel" une maison à marmaille échevelée . Les trois premiers  frangins étaient turbulents et pas faciles à calmer lorsqu’ils jouaient ensemble surtout M. . La petite sœur donnait aussi beaucoup de souci, elle grandissait mal et elle accaparait beaucoup l’attention maternelle. Notre père travaillait énormément, il était de moins en moins disponible, il était débordé lui aussi.

    Tu nous a tous gardés pendant plusieurs jours à la mort du grand-père maternel en Mai 1967 et ce fut le début de ton attachement  profond  au dernier-né qui a trouvé dans tes bras, et dans ceux de Jo les soins et l’amour supplémentaires que vous aviez en réserve. Vous êtes devenus ses parents de secours et nous trouvions cela naturel. Il dormait à moitié chez nous, à moitié chez vous. Vous êtes devenus les grands-parents de ses propres enfants N. et M.

Tu nous as tricoté des montagnes de pulls, d’écharpes et de bonnets. Tu tricotais devant la télévision sans regarder tes aiguilles. Cela nous fascinait. Tu t'es arrêtée quand tes yeux n'ont plus voulu et que tes rhumatismes ont pris d'assaut tes articulations. Tu étais toujours en mouvement et très ritualisée. Tu aimais les voyages et vous en avez fait plusieurs à la retraite. Vous étiez économes mais curieux de tout. Votre lune de miel s'est répétée plusieurs fois. C'était votre meilleur sujet de conversation aux retours, sur le canapé du salon.

Plus tard, mais tu ne travaillais plus chez nous, nous avons partagé le temps des vendanges, et c’est l’un de mes souvenirs ardéchois les plus joyeux. Un jour tu m’avais prêté ton solex pour rejoindre l’équipe. J’aimais les odeurs et les couleurs de la vigne, la bienveillance des adultes auprès des plus jeunes qu’ils initiaient au travail avec des blagues perpétuelles et bon enfant. Nous étions poissés de rires et de jus dégoulinant. L’usage du sécateur semblait nous donner du galon dans la confiance. Nous étions fiers. Un boulot sérieux et rémunéré. Mon premier argent de poche je crois. Vous aimiez nous voir grandir. Mes frangins faisaient les marchés mais ils étaient partants eux-aussi, c’est flou dans ma tête sauf nous tous parmi vous sous le soleil de septembre et le beau visage triangulaire de Jo  partageur de melons aux gamins du quartier l'été sur la placette. Ce devaient être des jeudis ou des samedis après-midi.

Dans nos dernières conversations car mes visites étaient systématiques à la fin, nous parlions du passé, de la guerre et de vos trajectoires de vie. Deux orphelins de mère qui ont trouvé à s'entendre et à se consoler mutuellement. Votre douceur et votre sens de l'accueil ont été très précieux.

Toi et Jo avez été de toutes les fêtes importantes et figurez sur les photos dans toutes les tablées. La nostalgie me serre le cœur aujourd’hui car je ne peux te rendre et vous rendre tout ce que vous avez donné sans compter.

Tes nièces ont pour tâche d’assurer tes obsèques et elles ont ta consigne de ne vouloir ni fleurs ni discours ce vendredi 26 janvier 2024 au crématorium, après une semaine d’attente dans le froid... Je n’ai pas pu te dire Adieu et ça me chagrine profondément. Mais mon cœur est plein de nos derniers échanges.

Nous respectons tes volontés , c’est pourquoi je passe par l’écrit et je glisserai cette lettre dans ton cercueil ; non sans l’avoir partagée pour montrer ce qu’est la valeur de quelqu’un comme toi qu’on dit « invisible » mais qui est pour nous ineffaçable.

Je t’aime Jeannette toute lovée désormais contre le corps immatériel de Jo. Vous avez été nos héros du quotidien. Votre vie commune a été un modèle et une leçon d’amour inoubliable. 

Bon voyage à tous deux. 

Vous pouvez goûter désormais la joie des retrouvailles éternelles.

Nous, on vous regarde pour toujours.

J'attends votre carte postale fleurie au creux de ma mémoire en larmes.

 

Marie-Thé.

 

 


ETATS DES YEUX | Janvier 2024 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 01

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EX VOTO GREG

Semaine 1  Année XXIIII -  Jeudi 4 Janvier

 

L'entame des jours : chaque jour qui déborde de choses vécues qui s'accumulent et se bousculent.  Une fois les circonstances dépassées, c'est la hauteur des vagues d'émotion qui reste à contempler. Tout se passe hors les mots jusqu'à ce que je trouve la voix qui convient, la phrase adéquate pour ne pas en faire trop ni pas assez. Je rature facilement mais c'est l'oubli qui efface le mieux ce qui n'est pas contenu. L'écriture est une affaire de contenant et de contenu. L'écriture enfle et perd son souffle en un rien de temps. L'écriture est un tensiomètre avec sa maxima et sa minima. Ces dix derniers jours ont été sans pause pour l'écriture telle que j'aime la pratiquer. L'écriture est un élan qui a ses causes, précises et incisives. Lire les autres me le confirme en permanence.

Qu'est-ce qu'un cadeau filial si bien ciblé,  comme celui-ci : un ex-voto si léger, ou celui-là : un double livre si lourd Varda par Varda  (1954-2019) aux éditions de la Martinière, dans ma vie de mère ? Je ne vais pas répondre ici, ce serait trop long. Je garde l'émotion comme un parfum sacré.

 

 

VARDA PAR AGNES

Réunir ce bout de famille qu'on a créé par amour est un privilège. Je photographie souvent les présences, les gestes à la sauvette, il me faut garder quelque chose de ces instants de vie même si ceux ou celles qui jettent systématiquement les souvenirs ne comprennent pas ce désir profond. Il ne reste plus beaucoup d'occasions ni d'envie de rassembler les gens qu'on aime. La pandémie nous a sevrés de la promiscuité et ce qui la remplace est peau de chagrin sur des écrans tactiles. On le sait depuis longtemps : l'émotion virtuelle est désincarnée. Retrouver pour les fêtes de fin d'année la chaleur humaine naturelle m'a fait un bien fou. Peu importe la légéreté des propos et la brièveté des contacts. L'essentiel de nos sentiments s'est ancré dans ces retrouvailles complètes. 

 

La tristesse est pourtant là, en filigrane dans mes pensées perpétuelles pour  ma  chère J.qui se meurt dans un décor hospitalier qu'elle a fini par réclamer sans pour autant avoir accepté de protocole oncologique.  Elle ne peut plus manger... Combien de temps va durer son calvaire moral et physique ?  Ne pas pouvoir l'entendre et lui parler est une épreuve de plus. Je n'ose plus lui écrire en sachant que ça ne la sauve pas. J'irai la voir, dès que possible. Sans doute pour lui dire aurevoir et surtout merci... Sa vie et notre enfance villageoise sont intimement liées...

 

20240103_133040[1]Roanne devant le crématorium 3 Janvier 2024

 

La mort soudaine du poète et philosophe humaniste Roger DEXTRE  ce samedi 30 Décembre, a clôturé l'année 2023 de manière cinglante. Qu'est-ce que la mort d'un poète sinon la disparition d'une voix et d'une écriture en "puissance" qui nous manquent déjà ? Le choix d'un rite crématoire nous a rendu les hommages plus  frustrants en raison du timing serré des offiçiants attitrés et de l'exiguïté des locaux. A Roanne hier nous étions pourtant nombreuses et nombreux à entourer cet homme qui a su aimer et être aimé.  J'attends avec impatience l'organisation de l'hommage poétique qui lui a été promis hier, à plus vaste audience par l'Association DANS TOUS LES SENS, et son éditeur principal LA RUMEUR LIBRE.

En attendant je m'immerge dans ses poèmes avec un sentiment de retard devenu bienvenu. Il n'y a de vraie rencontre finalement que dans la lecture silencieuse exonérée des remerciements toujours impudiques. Voici l'un de ses poèmes tiré du recueil  Le jour qui revient, publié en 2021 à la Rumeur libre. A noter qu'un nouveau livre reste à paraître en ce début d'année. Nous l'accueillerons avec tendresse.

 

LAISSER

 

Laisser la nuit

secouer l'ample espace

et ce qui de nos rêves s’échappe.

 

Un rideau

à l’instant soulevé,

retombé sur rien aussitôt.

 

Laisser La nuit

sur le rivage

étale de nos jours

comme dans nos corps

battre les rythmes du cœur

et ceux de la respiration.

 

Ils ne s’adressent en nous

bonjour ni bonsoir,

surgissant , retenus,

dessinant des courants

qui nous amènent et nous emportent.

 

Nous ne savons pas

capables de comprendre

leur naissance, l’étrangeté,

la liberté qu’ils recèlent

aux plis lumineux de leurs sursauts

et des rumeurs qui les accompagnent.

 

Grâce au sommeil

je laisse leurs voix

tenter la pensée,

la devenir.

 

Alors serait le grand calme,

l’apaisement

que vienne insolent à nos pieds

un océan pour nous seuls

à jamais amical.

 

Qu’un vent de signes fugitifs

nous aborde

dans le contrepoint

essoufflé et maladroit

que nous sommes en vérité,

nos joues rouges

comme celles des enfants

et des anges.

 

 

L’inattention nous allège

permet des chantonnements,

nous ne savons

comme ils en viennent

à notre tête, à nos pieds, à notre voix.

 

Si l’immensité ne la casse,

l’œuvre de la nuit, intacte,

dure sans notre part

tout le temps qu’il lui faut.

 

Mon lit

a formé cette croyance

pour conjurer

les cauchemars.

 

 

 

Roger DEXTRE, Le jour qui revient, p.87-89

La rumeur libre 2021

 

 

 

                        

 

 

 

 

 

 

 


 


ETATS DES YEUX | Décembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 52

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L'ange jaune

Drôle d'ange, drôle de rencontre en montant la côte en direction de Fourvière l'autre jour. Un ange jaune aux lèvres roses charnues, cheveux crêpus, pieds et main droite arrachés, un visage perplexe presque étonné, a-t-il ramassé une charge explosive, va-t-il en réchapper ? Je voudrais que Oui !  LOV et KILL en dessous , pourtant, c'est de mauvaise augure... J'aimerais connaître l'origine de ce collage. C'est pour cela que je l'ai photographié en passant, profitant de l'embouteillage.  Tout me fait signe en ce moment. L'illisibilité du comportement humain collectif dans les territoires en guerre me donne envie de réduire ma capacité d'engrangement des baratins justificateurs.  Je vomis la guerre et ses sbires.La mort a pris une telle ampleur  dans les contrées attaquées et assiégées que j'ai en permanence dans la tête, de jour comme de nuit,  l'image de son grouillement et de sa sournoiserie. Je pense aux enfants et aux femmes qui essaient de survivre au milieu des armes, je me demande quel avenir apaisé on peut avoir après toutes ces tueries, toutes ces destructions, tous ces drames programmés. La mort est fascinante, la donner empêche-t-il de la subir plus tôt que prévu dans une vie pourtant toujours trop courte ? Y croient-ils vraiment à la gloire posthume et aux récompenses de leurs Dieux si peu crédibles ? Cet ange jaune m'a glissé à l'oreille qu'il avait la trouille ( une jaunisse justifiée)  et qu'il allait si possible rejoindre les oiseaux de bonheur ,  peu importe leurs couleurs, là où ils chantent encore, il va falloir chercher où... Je repasserai le voir, pour savoir , j'espère qu'il me laissera un message, car en cette semaine 52, malgré la chaleur familiale et les trucs qui scintillent, je crois que je n'ai plus de mots pour exprimer ce que je vois et ressens. Et vous ?

 

 


ETATS DES YEUX | Décembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 51

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20231225_174202[1]

Tout doux Noël en tablée intimiste à six. On a même confectionné de vraies bugnes et éparpillé les papillotes un peu partout pour faire scintiller les lumières en led. On a eu le goût des conversations légères et l'enfant a réclamé sa platée de pâtes à la tomate après avoir servi  les adultes (à l'assiette !). Un Menu de Fête Traiteur trop ésotérique pour lui. Rigolades et distribution de cadeaux, beaucoup de livres cette année, et cette merveilleuse toile de bibliothèque réalisée par l'amie lointaine Odile Fougère qui ne cesse pas de m'étonner par la qualité de son imaginaire adossé à la vie matérielle et à la nature qu'elle y fait entrer en touches colorées et subtiles. Il y a toujours un message invisible dans son travail que j'apprécie de plus en plus. 

L'enfant et ses figurines Minecraft s'invente depuis hier des paysages à sa manière.  Il y est question d'armées prêtes à la paix, sur le mode défensif bien ordonné... Difficile d'échapper à l'air du temps. Quelques livres pour son futur métier annoncé d'architecte lui feront connaître les prodigieuses et généreuses réalisations de Tony Garnier proches de chez nous. Commencer avec des légos n'est pas inutile pour construire son propre environnement... Il voulait également devenir cuisinier, mais y a renoncé car il ne veut pas travailler le week-end.  C'est son neuvième Noël façon Petit Prince, sans excès, il sait ce que valent les choses et sait se contenter de ce qui est prévu. Avec sa casquette et sa cape noire à col rouge satinée, il grandit à vue d'oeil devant nous. Là encore, sentiment de privilège.

Il faudra attendre la St Sylvestre pour réunir nos trois grands enfants et faire la photo traditionnelle du trio qui m'est si chère laquelle jalonne le temps qui fait changer les êtres et nous les rend encore plus précieux. Goût des retrouvailles, goût pour les souvenirs revisités et plaisir de se sentir encore solidaires et vivants. Cela se passe de mots précis la plupart du temps, ce sont les yeux qui aiment et qui rient comme des guirlandes festives. Cette génération vit des amours intermittentes et renonce à procréer, cela les maintient dans une disponibilité attentiste que nous n'avons pas connue. Nous nous accoutumons à la nouveauté autant qu'à l'imprévisibilité des projets. Ils accordent de la valeur à l'authenticité et à la liberté. Ils vivent au jour le jour  modestement et nous nous adaptons à leurs choix qui restent toutefois relatifs. Ils ne sont pas arrivistes ni indifférents à leur impact écologique, ils roulent à vélo ou marchent à pied , prennent le train ou des transports solidaires. Ils lisent beaucoup et s'informent. Leurs attirances musicales sont larges et parlent d'autres langues que maternelle et paternelle, leur vocabulaire est criblé d'anglais et d'acronymes.

Nous nous éloignons doucement de leur univers, sans tapage ni précipitation. Quelque chose change en profondeur dans nos relations mais cela reste discret et tendre. Famille unie dans un pays en paix, quel privilège !

Nous avons même partagé nos friandises avec notre cher voisin de palier veuf et seul , Monsieur G.  devant sa messe de minuit avancée à 22h  (ce n'est plus comme avant , a-t-il dit en riant...), il était charmant en robe de chambre gris-bleu et moelleuse .  Ses enfants sont venus le chercher pour un repas ce midi. Nous lui relevons son courrier en ce moment, en relais d'une autre voisine absente, veuve aussi, elle s'est absentée pour les fêtes. Lui est de plus en plus voûté et las physiquement, il approche les 90 ans, le dit, le sent, mais continue à sourire et à remercier. Il est un spécialiste des cadrans solaires et nous en a offert un pour le sud.

Il y avait assez de bugnes pour en faire profiter la famille proche. C'est une tradition qui me ramène à l'enfance. Notre mère en faisait des quantités industrielles avec plusieurs kilos de farine, des tonnes de beurre , une  quantité phénoménale d'oeufs, des citernes d'huile, un flacon d'eau de fleur d'oranger, de la levure  et du sucre glace sans privation ... L'opération prenait trois jours avec des effluves de graillon spectaculaires. Au fil du temps l'habitude s'est effilochée. Trop de sucreries dans la vie des enfants les ont détournés de ce qui constituait une nourriture d'exception et de convivialité. La bûche au beurre est devenue une hérésie diététique, on la préfère glacée de nos jours pour faire glisser le reste. On ne boit pratiquement plus d'alcool, les jus de fruits,les fruits de saison  et l'eau pétillante ont volé la vedette. Nos estomacs ont muté , le citrate de bétaïne à portée de main, seul le chocolat un peu raffiné garde ses marques de noblesse, les blagues à l'intérieur des papiers brillants rivalisent d'inintérêt, les questions pour un champion ont remplacé les citations, les réponses sont loufoques et commerciales, les pétards sont mis à part... Et même les chants de Noël ont pris un coup de vieux malgré les versions jazzy et godspel. Malgré cette évolution, la magie de Noël n'a pas disparu pour les personnes qui ont appris à communiquer par smiley, sms et mailing. Noël fête l'enfance et la résistance à son annulation sous des prétextes d'hostilité généralisée.  Ce qu'a de divin un enfant qui naît c'est que sa présence dans chaque famille, dans chaque communauté, dans chaque culture soit sacralisée et protégée du malheur créé par l'incapacité d'aimer et de partager.

 

 


ETATS DES YEUX | Décembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 50

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Marie Ange SEBASTI par Angèle PAOLI 001

Marie-Ange SEBASTI  1945 -2022

 

 

                NAVIRE

 

Les rêves rêvaient les vagues

et les vagues noyaient les rêves

 

La Haute mer ne sait pas rire

 

Il nous filait chaque noeud

pour rattraper le vent

mais chaque noeud 

laissait filer le vent

 

La haute mer s'est adjugé

tous nos pays familiers

 

Il ne s'agit pas d'en pleurer

 

 

Marie-Ange SEBASTI , Comme un chant vers le seuil,

Maison  Rhodanienne de Poésie, 1970, page 24

 

 


Semaine 50 Année XXIII -  Mercredi  13 Décembre 

Trois semaines de silence sur cette Entame des jours. Ce n'est pas pour rien. Trop de choses à dire ou à taire et la conviction d'avoir mieux à faire que de palabrer dans la tourmente de l'actualité. Gaza... les otages israéliens sacrifié.e.s ... l'Ukraine, l'Afghanistan... le Yémen... en obsessions de colère : cette omniprésence ruineuse hégémonique des armes, des détresses vendues en images et en bavardages qui n'arrêtent rien et font sans doute empirer les situations. Sauve qui peut de loin ça rend honteux. Et l'hiver qui s'est installé ici en ville avec ces réfugiés et ces miséreux à la rue, sous des tentes insalubres que la bonne société assimile à cette migrance dont on ne veut plus et dont on débat sans complexes à l'assemblée devant des députés qui annoncent la couleur et la laideur des ambitions. L'humanité va mal et la France est un radeau de la Méduse où les intérêts privés priment sur la solidarité, l'ouverture d'esprit et la liberté de circulation sur la planète. Les peuples migrants soumis et sous payés sont intégrables, ceux qui viennent  seulement chercher asile, protection sociale, soins modernes et pitance ne sont pas assimilables malgré la multiplicité des contre-exemples. Instrumentalisés, ostracisés, enfermés, relégués aux marges de nos privilèges les peuples déplacés sont le symptôme de la haine et l'injustice érigées en systèmes à circuit fermé. La binarité simplette in / off fonctionne à plein régime. Les systèmes socio-religieux reprennent du pouvoir sous la menace pour aveugler les consciences et les ramener à leur cause d'essence économique ( capter le pognon) . Les dieux sont convoqués pour expliquer ou renforcer la pagaille et pas mal de monde tombe dans le panneau. Le XXIeme siècle et son retour de factions spirituelles abusives se nourrit aussi d'angoisses environnementales. Les gens discrets et mesurés sont inaudibles, les intelligences sont morcelées et la loi du plus violent actionne le gouvernail des destins pêle-mêle. Rester debout et intègre dans cette coulée de boue brûlante relève du défi et certains le relèvent courageusement. A ma toute petite échelle, j'ai l'impression de résister avec peu de moyens. J'écarquille les yeux pour voir venir le danger et m'attends à tout comme à rien. Je remonte le temps avec l'écriture et l'écoute des expériences, la poésie me sert de petits bagages de main pour donner un peu de recul à mes constatations.  Je les abandonne lorsqu'ils exagèrent, eux aussi.  Il y en a partout sur les routes de l'exil, et porter ceux des autres n'est pas complètement idiot. 

Les mots des poèmes sont à tout le monde.

 

Je prépare depuis un an une maquette de livre collectif d'hommages à notre amie Marie-Ange SEBASTI  et j'y ai travaillé avec patience et acharnement. J'espère le présenter au plus tard en Janvier 2024.

 

De son côté son éditeur  Jacques ANDRE qui a quitté  Lyon est en train de sortir un volume, réalisé "avec un groupe de lecteurs fidèles" (sic), réunissant les livres déjà publiés et des inédits posthumes généreusement confiés par son mari Yves CALVET malgré le deuil douloureux.

Cela s'est fait indépendamment de la démarche de notre association qui aurait pu être mieux associée à cette initiative, mais cette oeuvre a attiré des convoitises qui ont clivé les démarches lesquelles auraient pu être synchronisées. Ainsi va la poésie dans ses incarnations déroutantes.

L'important à présent est que l'oeuvre circule et qu'elle soit visitée plus largement au delà du cercle Lyonnais.

Affaire à suivre...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


ETATS DES YEUX | Novembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 47

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Automne étoilé sous l'arbre consentant
Semaine 47 Année XXIII -  Vendredi 24 Novembre

 

L'écriture n'est pas facile en ce moment. Elle est engluée dans tout ce qui traverse l'esprit, autant dans des registres privés que publics. Raconter n'est pas nécessaire, commenter non plus. Je cherche une brèche dans le magma pour ressortir à l'air libre, respirer un peu mieux dans mon quotidien qui n'a pourtant rien de menacé, ni de complètement désespéré. Je pense tous les jours à une femme très malade et aux otages de Gaza, à tout ce qui parle de violence et d'incurie face à la destruction endémique. Il me faut parler à nouveau de la tristesse en lui donnant des partenaires immatériels. Je les cherche et je les trouve dans la littérature et sur certains réseaux toujours trop bavards.  Je suis entourée de livres très nourrissants, je suis en contact avec des personnes délicieuses ou simplement sympathiques. Je ne sors pas beaucoup. Hier pourtant , j'ai croisé un arbre et son feu de feuilles couché tout en rond de couronne à son pied. C'est une image d'automne qui m'a redonné du courage. Le courage de continuer à voir et à entendre "pour ne pas mourir" , comme le décrit si bien l'ami Patrick DUBOST. C'est une lutte de chaque minute plus ou moins indolore qui empêche de laisser cours à la déréliction ambiante. Rester debout et dans l'accueil, sans excès ni pingrerie face à ce qui s'offre. Ne sachant pas comment m'y prendre, je fais comme si je le savais...  En lisant des poèmes d'Hélène DORION dans Mes forêts ou des textes poétiques de Milène TOURNIER accompagnant de magnifiques photos en noir et blanc dans le livre intitulé Puisque chacun pourra partir chacun pourra rester. Le ton et la profondeur me paraissent justes et de circonstance. Tous les univers sont accessibles avec les mots. Et c'est cela le miracle !

 

Lecture audio intimiste d'un poème d'Hélène DORION

dans Mes Forêts

Téléchargement Hélène_Dorion_Brume[1]

 

 

 

 

 

 

 

 


ETATS DES YEUX | Novembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 46

 

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Alors que la guerre gronde pas très loin de leurs maisons, les enfants et les poètes ont bien le droit d’imaginer que les chars seront un jour aussi malléables que de la pâte à modeler… de la pâte à remodeler un monde où régnerait enfin la paix ! Un pied de nez poétique à la guerre et les traductions dans 24 langues, signées par 24 poètes des quatre coins du monde

 

Semaine 46- Année XXIII -  Mercredi 15 Novembre

COMMENT FAIRE LA PAIX ? 

L'enfant du mercredi découvre ce livre que j'avais repéré dans une discussion, et qui était chaleureusement recommandé.  J'ai collectionné déjà pas mal d'albums jeunesse aux éditions RUE DU MONDE pour nos ateliers d'écriture  ( d'ailleurs je mélange toujours les livres  destinés aux enfants avec les ouvrages pour ados ou adultes  en poésie). Celui-ci a tenu sa promesse. Un simple poème écrit par un poéte très connu dans les classes primaires Francis COMBES et malicieusement illustré par Bruno HEITZ.  Le sujet est brûlant : COMMENT FAIRE  LA PAIX ?   L'enfant a assimilé la méthode sans hésitation.  Ramollir un tank par des caresses et lui clouer le bec avec un bon noeud sur  son long nez.  On en rêve n'est-ce pas ?  Il a recopié le poème sur le petit cahier rouge  (c'est pour s'exercer à écrire plus petit et harmonieusement en prenant son temps). Il l'a lu à haute voix pour le savourer et je l'ai enregistré. Un bon moment paisible et enjoué !

ECOLIER EN NOVEMBRE 2
Semaine 46- Année XXIII -  Jeudi 16 Novembre

Un écolier en automne. Il devance son grand-père qui l'accompagne à bicyclette chaque jeudi matin jusqu'à son école (600 mètres). Petit à petit l'autonomie s'apprend. S'entraîner à marcher seul dans la ville pour se préparer au collège dans deux ans. On s'y prend petit à petit. Là il est encore sur le chemin dans la résidence, je le surveille du balcon. Il n'est pas encore un écolier avec la clé au cou. C'est un cap qui fait un peu peur aux adultes. Lui prend plaisir à montrer qu'il a des réserves d'assurance, il est fier de porter son lourd cartable qu'il surcharge délibérément. Hier il y a engrangé ses cartes Minecraft, qu'il appelle puzzles, il venait de les trier et il a calculé le nombre de pages qu'il faut pour chaque série dans son album plastifié... Sa patience est immense, inversement proportionnelle à celle qu'il montre pour expédier les devoirs qui lui semblent répétitifs. Sinbad le Marin, ras la casquette... On insiste pourtant pour qu'il assimile bien les bases de la lecture , de l'orthographe et du calcul. Apprendre l'anglais et l'allemand lui plaît mais il préfère le faire à l'école. Il vient de découvrir le dictionnaire Larousse que sa mère a rapporté d'une boîte à livres... Il le lit tous les soirs et il va voir les noms propres... Cela lui donne des idées pour se mêler aux conversations des grands, il a découvert Trotski... Lénine et Marx... C'est là que ça commence à devenir intéressant... Il veut savoir... alors, let's go , mais mollo... Il y a du boulot encore pour..., disais-je... les bases...

 

Tout cela me distrait des soucis que nous procure l'état de santé d'une personne proche. Elle, dont je voudrais faire un jour le portrait. Une femme généreuse et simple.

 

Ce soir  débondage de l'angoisse dans une soirée organisée au Rize de Villeurbanne.  Notre grande fille chante et danse dans la Fanfare des Pavés. Un moment de liesse entre femmes superbement colorées invitées pour le vernissage d'une magnifique exposition féministe . J'en parlerai plus tard, c'est à voir absolument ! 

 

 


ETATS DES YEUX | Novembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 45

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JOURNAL D'AUTOMNE  

Texte & Une photo par jour

 

 

Semaine 45- Année XXIII -  Lundi 6 Novembre

 

Elle veut entrer sous ma manche de pull, elle ne sait qu'avancer et voler. Pour l'instant , elle choisit  d'explorer la surface que je lui propose, un post-it bleu pour la ramasser sur la baie vitrée, puis un verre assez grand pourqu'elle puisse continuer sa gymnastique d'hamster. Je sais qu'elle va s'affoler et je préfère la laisser se reposer un peu. Elle a eu du mal à ranger ses ailes. J'ai cru d'abord qu'elle était blessée.  Ce doit être une vieille coccinelle me dit mon frangin avec qui je parle au téléphone.  Je n'arrive pas à compter les points. J'ai plaisir à sa présence inopinée. C'est un signe sympathique.  Mon frangin me demandait à ce moment là si j'avais rencontré des esprits dans le grenier de la maison parentale. J'ai dû le décevoir en disant que j'aimais bien mes fantômes plutôt bienveillants et souriants. Je ne suis pas  superstitieuse mais plutôt  imaginative.  J'aime bien l'idée de réincarnation mais sans tout le cirque des karmas. Juste la possibilité d'un échange standard  instantané entre un être disparu et une vieille coccinelle en vadrouille. Celle -ci n'a pas de boussole, elle ne sait pas où elle est et je pense à sa place. Au moment où je voulais lui rendre sa liberté je ne l'avais pas encore photographiée. Je m'y suis reprise à cinq fois.  Le cliché ci-dessus est le plus net de tous. Elle a posé involontairement pour moi.  J'ai envoyé le selfie de la demoiselle au frérot. Il me l'a échangé contre celui d' un raton-laveur sur sa grosse branche. Je pense soudainement que parler des animaux nous change les idées même si leurs comportements démontrent les effets du réchauffement climatique et de la concurrence pour l'occupation dans les biotopes . Un loup qui attaque des moutons très près des maisons, un ours brun qui veut entrer dans la cabane d'explorateurs qui ont oublié que la térébenthine qu'ils utilisent a la même odeur attirante que la résine d'arbres contre lesquels ils se frottent...,des ratons-laveurs et des blaireaux qui se rapprochent de plus en plus des habitations .  C'est par la photographie qu'on observe tous ces changements et c'est un bon sujet de discussion. On parle matériel et expositions.On parle tracasseries santé et perspectives chirurgicales. Nous savoir dans la même classe d'âge et dans la nasse des séniors... nous fait sourire  (encore...).

 

Semaine 45- Année XXIII -  Mercredi 8 Novembre

Grand plaisir à revoir ses films  "sans toit ni loi"  et  "l'une chante l'autre pas" dans le cycle Agnès Varda diffusé sur ARTE. Ramenée à mes vingt ans  pour le premier et à tous les questionnements de ma génération de femmes en lutte pour leur émancipation dans le second. Le parcours d'Agnès Varda est passionnant, il allie l'intelligence et le courage des idées, il fait fi des conventions et traverse les turbulences avec humour et gravité. Elle me fait penser à  Marguerite Duras dans son côté pionnière et iconoclaste. "Madame Agnès Patate" est une militante rigolote qui sait parler aux gens simples et les filme admirablement.  Je n'ai pas fini d'explorer les oeuvres de ces deux femmes -phares.

 

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Aujourd'hui c'est le jour de l'enfant du mercredi. Il est de très bonne humeur et nos conversations sont enjouées. Il a appris le massage cardiaque et la mise en position latérale de sécurité chez les pompiers dans leur Caserne Musée (?) du 9°. Il nous en fait la démonstration... C'est sérieux et drôle. J'en profite pour inclure l'expérience dans la dictée improvisée sensée lui faire réviser la conjugaison des verbes "être" et "avoir" au présent... et pour lui faire imaginer la suite d'une phrase commençant par  "Je suis un garçon plutôt... "en énumérant tous les pronoms , l'exercice lui plaît . Le graphisme est impec. sur le cahier rouge du mercredi.  Il s'applique... "avoir et être" ne lui posent pas de problème. Il retourne à ses lectures à ses impros de jeune pianiste débutant très jazzy ,et à ses collections de cartes Minecraft et Pokémon qu'il trouve sous un couple de poulailler chaque semaine dans un petit panier à l'entrée.  C'était un rite du Tonton Jean ( mon oncle paternel décédé en 2019) que nous trouvions sympa , il y mettait des oeufs kinder pour les enfants de son village en visite, j'ai repris l'idée et l'ai fait évoluer. L'enfant  a fait son heure de switch réglementaire en début d'après-midi, le soir il a réclamé de la soupe et des tagliatelles... On a  parlé  un bon moment du harcèlement scolaire, de l'émission que j'ai vue hier, il m'explique qu'il se défend et qu'il sait de quoi il s'agit. Il est content à l'idée qu'il y ait une journée consacrée à ce thème à l'école. Le Ministre de l'Education Nationale sera content, il a déjà un convaincu initié sur la question. Sûr de lui et ayant réfléchi depuis longtemps à ces problèmes de cour de récréation. Pour lui, ce qui se passe est gérable mais il sait que ce sera plus difficile au collège... Son raisonnement est serein. Il a grandi. C'est un bonheur de le voir prendre son envol dans des conditions de paix et protégé par les adultes. Le regardant, je pense sans le dire aux autres enfants moins gâtés et chanceux.

 

 

 

 

 

 


ETATS DES YEUX | Novembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 44

 

CIEL NOVEMBRE 1

le ciel sans dessus dessous

JOURNAL D'AUTOMNE  

Texte & Une photo par jour

 

 

Semaine 44- Année XXIII -  Vendredi  3 Novembre

 

Cernée par les cauchemars qui répliquent le cauchemar de la réalité guerrière, je reste immergée dans des lectures qui me ramènent invariablement, et elles aussi,  à l'idée de la mort. Je m'étonne en permanence que la vie puisse facilement continuer autour de moi, plutôt assourdie, car je ne me promène plus en ville, peut-être de peur d'y trouver  dans les yeux des gens, les stigmates de ma propre inquiétude. C'est une ambiance que je connais déjà, depuis les premiers attentats, et à chaque fois que se déclenche un conflit entre pays ou partisanneries de tout acabit. La haine me fait peur qu'elle soit larvée ou manifeste. Cela n'a rien d'exceptionnel. Ecrire est insuffisant pour en juguler le maléfice.

Lire le dernier livre de Pascal QUIGNARD, Les heures heureuses, ne m'a pas sortie de cette coulée de pessimisme, il dissèque une fois de plus cette hantise de la mort qui fait commettre des folies depuis les débuts de la vie terrestre, dont il dit qu'elle ne représente que 30% de la planète, les pourcentages restants représentant la masse océanique avec ses abysses insondables et fascinants. Il dit aussi que le temps devient l'espace dès qu'on se place face à la mer des origines et devant notre passé de poissons.

Joël CLERGET ne fait que renforcer l'idée en faisant allusion à la vie placentaire, dans son livre Devenir soi avec les autres, mais il laisse un espoir en misant sur la capacité à contenir l'insécurité du nouveau né par le toucher et la parole humanisante, qui à son tour la transmettra. C'est à se demander si ce n'est pas la première raison à l'état désastreux du monde: une faillite  gigantesque à prendre soin de l'autre et de soi par solidarité vitale.

La poésie ne m'apporte pas de vrai réconfort ces jours-ci, elle est trop éloignée de ce que je ressens moralement et physiquement à l'écoute des tragédies qui me rappellent celles dont j'entends parler depuis l'enfance. "Si tu veux la paix , prépare la guerre" répétait bêtement le père pour faire cesser le flot d'objections infantiles... Ou, lorsqu'on refusait de montrer une blessure honteuse ramenée des jeux d'extérieur, " Ne t'inquiète pas, on a déjà vu les horreurs de la guerre"... De quoi parlait-il exactement, lui qui ne l'avait pas faite, et seulement son service militaire dans la ville où je suis née, où il avait contracté de l'asthme, qu'il m'a transmis... Probablement auxs moment où il devait monter la garde dans l'obscurité, près d'un bâtiment militaire planté dans la garrigue... On ne peut pas tellement se défendre avec un fusil déchargé, et deux balles dans une boîte quelque part dans la nuit... Il était question d'un mot de passe qu'il lui fallait connaître par coeur sans l'écrire pour le rejoindre et prendre son tour de veille... Il en parlait en riant, ne se doutant pas que ses propos ne démontraient que sa trouille rétrospective et sa virilité mal incarnée. Notre mère était plus cash sur les récits de guerre, elle l'avait vécue différemment car moins protégée par sa famille. Elle avait en horreur les armes à feu et nous a couvé.e.s sans nous épargner ses angoisses et ses superstitions.  Tous ces récits me reviennent en boucle tous ces jours...

Le livre de Valérie ROUZEAU magnifiquement accompagné des oeuvres de Florent CHOPIN raconte en très résumé, la vie de Nina SIMONE, pianiste et chanteuse d'origine américaine et nous invite à réécouter ses beaux titres dans la transmission du "blues" ...

Difficile de ne pas se sentir concernée par ces mélodies qui luttent contre le racisme, la misère et la ségrégation des peuples descendants d'esclaves... et ces textes qui cherchent eux aussi désespérément l'amour... grâce à la musique...

Papa, can you hear me | Nina Simone

 

Et l'Aria peu à peu varia

De plus en plus noire se fit la voix

 

A la little Girl Blue du matin

Devenue  A Single Woman au soir

Ni tout à fait la même

Ni tout à fait une autre

 

 

Semaine 44- Année XXIII -  Samedi  4 Novembre

 

ST EX NOV 23prendre de la hauteur

 

Les petites combines publicitaires pour éloigner les idées noires me semblent vouées à disparaître comme les bulles dans l'eau gazeuse à l'air libre. Plus j'écoute parler les nouveaux psys ou philosophes sur les réseaux sociaux  et plus je prends conscience de la supercherie de leurs méthodes d'abord gratuites ,puis vite opportunistes et racoleuses. L'inclusion de mots anglais et de tics verbaux dans leur vocabulaire me paraissent tout droit  importés d'Outre Atlantique où la philosophie du prêt -à -panser et du yakafaucon relèvent d'un eugénisme sanitaire qui méconnaît ouvertement les subtilités des mécanismes inconscients de la personne humaine. Il n'est question que de remettre les  travailleurs et les travailleuses déprimées au taf , les étudiant.e.s à leurs études, les enfants et les personnes âgées dans des cases d'attente... en bidouillant leur sérotonine et en les inondant de suggestions de comportements  standardisés... Je comprends mieux la colère et le pamphlet écrit dans la Revue-dard n.7  l'ouroboros à la robe de glace par mon Ami psychiatre Emmanuel VENET. Il m'a autorisé à la signaler, elle est de nature polémique et j'en partage en grand partie le propos. Il s'agit d'une lettre brûlot étayée par une expérience de praticien chevronné et servie par une plume humoristique acérée...  Je salue l'audace mais ne peux m'empêcher de penser que ce type de tribune est réservée à une classe sociale supérieure à la mienne, protégée par son statut de notable. Pour autant, cela encourage à réfléchir à la fois sur les méthodes et sur le fond  des pratiques soignantes à l'ère de la rentabilité numérique... Bientôt l'I.A. s'emparera de notre bien-être mental en déprogrammant nos pensées parasites ou fausses au profit de petites doses audiovisuelles de "kifs" et de listes autodiagnostiques avec échelle de non conformité aux  standards de la sociabilité souhaitable. On a vu venir, cette simplification abusive de la complexité et ce mythe de la transparence des cataclysmes émotionnels voulus réversibles... Aide-toi la machine t'y aidera... Remplis tes questionnaires d'évaluation... Débrouille-toi pour trouver des interlocuteurs humains sur file d'attente... N'aie pas peur... Big Mother is caring you... N'oublie pas d'activer ta CB !

 

 

 

 

 


ETATS DES YEUX | Octobre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 43

 

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le sang noir dans le jardin des oliviers...

 

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Semaine 43 - Année XXIII -  Dimanche 29 Octobre

Puisque je me sens femme, grand-mère, mère et fille des deux côtés de la faille guerrière, je n'essaierai jamais de tenir d'autre position que celle de la pleureuse qui s'insurge et réclame la fin des folies pour faire entendre la voix de celles qui mettent au monde la vie depuis la nuit des temps. Les armes sont les arguments les plus suicidaires pour tout porteur d'un tant soit peu de raison et de respect à l'égard de l'espèce humaine. Le dire , le lanciner, le répéter ne suffit pas en ces temps démoniaques... Prendre la bande de Gaza et Israël pour des fourmilières à détruire en rasant et éventrant tout à coup de bombardements et de traque d'infanterie fait sans doute le jeu des propagandistes de tout bord pressés de savoir quoi récupérer dans le butin de guerre inique... Ce jeu monstrueux n'a rien à voir avec le désir des mères et des femmes qui supportent toute cette horreur en couvrant leurs enfants de leur corps vulnérable. Tout cela n'est pas une fatalité, la haine est construite par des religions qui prétendent le bien commun en éliminant celles qui ne leur ressemblent pas. L'immense majorité des non croyant-e.s subissent cette dictature du discours fallacieux sur fond de misère et de lutte des factions sans moralité ni limites dans le cynisme. Faire chaque jour le décompte anonyme des morts et des disparitions tient de la roulette russe... Un.e mort.e à moi un.e mort à toi... Et des images macabres sur gravats non identifiables à en vomir sur les écrans... Je ne vois que des Piétas et des visages effarés... Je ne vois que l'anomalie de la haine cultivée comme du poison mortel sur une carte géographique sacrifiée... Une de plus ! Ne pas se résigner...

 


ETATS DES YEUX | Octobre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 42

 

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Semaine 41 - Année XXIII -  Samedi 21 Octobre

Les cerveaux débordent d'événements indigestes, et le mien ne fait pas exception. Retrouver un peu de calme et de sérénité face au déluge d'informations médiatiques sur le conflit armé entre Israël et le Hamas est devenu impossible. Contrairement à la période du confinement, j'ai décidé de ne pas vivre collée à l'écran d'ordinateur ou de télé, ou à la radio dans la cuisine. Les informations, parfois contradictoires, toujours partielles mais non partiales sont distillées en boucle dans l'alambic de l'horreur.  A chaque geste ordinaire que j'effectue chez nous ou dans le quartier, je pense aux mêmes gestes  impossibles à faire dans les villes bombardées ou sous protection anti-missiles. Je vois mentalement des visages hagards ou dévastés, des errances et des étreintes désespérées, des gravats, des affolements de groupes de secours, des gestes de supplication et de colère furtifs. La caméra ne fait que survoler la réalité et ne lui parle pas directement, des paroles sont prélevées, elles sont banales et douteuses en raison même de la folie ambiante. On montre quoi ? On montre qui ? La guerre des images devient une mascarade et un mensonge creux. La vérité ne peut être contenue dans des images de presse mal triées  et sur-interprétées. La question des otages est confuse... A chaque nationalité les siens... Le mot "ressortissant" écorche mes oreilles... l'otage comme une marchandise nationalisée et non plus un être humain libre de circuler sur la planète, respectable et parlant. Toutes ces transactions opaques donnent envie de dénoncer l'hypocrisie et la lâcheté des protagonistes. Personne ne "ressortira" indemne de cette folie généralisée. Personne n'oubliera la barbarie et la honte. Je pense à toute cette souffrance et je ne peux la combattre qu'avec l'esprit, sans complaisance envers les bourreaux de tous les clans dans cette loi inique du Talion. "Tu ne tueras point !" Faut-il le tatouer sur chaque front ?  Ma colère en sourdine et celle des victimes incluse au lointain...

 

 

 

 

 

 


ETATS DES YEUX | Octobre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 41


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Semaine 41 - Année XXIII -  Vendredi 13 Octobre

 

Encore un passage à l'acte criminel sur le corps enseignant en France. Trois ans seulement après celui de Samuel PATY... Encore un jeune radicalisé qui s'arroge le droit de tuer à l'aveugle, quelqu'un qu'il ne connaît pas, mais à qui il fait un procès d'intention de mécréance et de nuisance pédagogique infondé. Un assassinat sans sommation. Une boucherie barbare qui a failli  éliminer plusieurs autres hommes voulant s'interposer et qui les a blessés.

Sanctuariser la laïcité à l'école de la République est-il devenu une nécessité et plus encore défi ? 

L'heure est comme on nous le dit au recueillement et au silence. Nous sommes entré.e.s dans une période très inquiétante. L'angoisse  et l'incrédulité se lisent sur la plupart des visages. L'envie de pleurer est évidente. 

Condoléances à la famille et aux proches de  Dominique Bernard, 57 ans, professeur de français au collège d'Arras. 

Dominique BERNARDPhoto diffusée dans le journal Le Monde


ETATS DES YEUX | Octobre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 40

 

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Semaine 40 - Année XXIII - Dimanche 1er Octobre

Tu freines ta vie avec cette corde d'écriture que tes paumes tirent de toute force en arrière, pour éviter la désescalade et le découragement. Te revient la chanson de Greame Allwright, la ballade de la désescalade dont tu as su après sa mort qu'elle avait peut-être des raisons bien particulières et inavouables. Toi, fort heureusement, tu ne bois pas, tu ne fumes pas non plus, tu n'aimes pas davantage ces recherches actives d'amnésie et de folie virtuelle que certains jeunes d'aujourd'hui convoitent dans un monde qui leur fait peur, comme à nous. " La fanfaronnade de l'absurdité" résonne tous les jours dans tes oreilles et souvent tes regards passent d'un drame à un autre sans prendre un répit suffisant. Toute la noirceur de la vie des autres se répand comme une encre sur la tienne, mais à chaque fois, tu veux la considérer comme un maudit nuage passager. Tu te leurres bien sûr, sans te rassurer. Mais tu ne veux pas lâcher ta ligne de chance et de lucidité, pour l'instant... C'est la raison pour laquelle tu rédiges ces notes en continu, mais sans souci de régularité. Il ne s'agit pas d'un journal intime. Tu n'écris que sur la peau disparate du monde proche ou reconstitué hâtivement.Tu attends le seuil où les mots se bousculent et tu les tries au tout dernier moment. Tu ne veux surtout pas avoir l'air d'apprendre quelque chose aux autres. Tu restes dans ta guérite de sentinelle pacifique.

Sur les trois jours derniers : l'anniversaire de l'ami cher Charles JULIET, la discrétion que son désormais grand âge réclame ; les échanges de mails amicaux importants pour toi; la teuf des potes pour l'anniversaire de l'enfant dans le parc ensoleillé, leurs jeux, leurs rires, leurs insouciances et cette invention très drôle  du "sacre de Napoléon" avec des "Nerfs", nouveaux jouets guerriers à balles en mousse, leur pose collective de commando en haut du toboggan et leur cavalcade ascensionnelle sur les branches du grand résineux qui les tolère encore, meute d'oiseaux fous prête à l'envol !

La soirée de rentrée de la Revue Verso, rue Bourgelat, ce vendredi, aura été un moment délicieux qui te donne le goût d'en reparler en Poémie Amie dans le cadre de l'association lyonnaise  la Cause des Causeuses. Les lectures t'ont plu et les retrouvailles plus encore. La preuve que l'éloignement prolongé a des vertus subtiles. Laisser le temps au temps et franchir les épreuves séparément... Ne pas se perdre complètement de vue, parvenir à choisir les possibilités de rapprochement sans exagération. Se montrer fidèle. Le plus possible, mais savoir rester libre de mouvement. C'est la clé d'une certaine sérénité et la garantie d'une moindre perte de temps vif.

Au retour de cette bonne soirée, et en salves tranquilles, lectures inspirantes du dernier recueil de Valérie Canat de Chizy, de la première publication de Virginie Delahaie et de l'un des trois livres de Roland Dauxois. Découverte d'un nouvel auteur sympathique et bardé d'humour Thomas Pourchayre.

Tes lectures deviennent à nouveau foisonnantes et passionnantes. Tu les fait défiler entre ta table de chevet et la grosse table en chêne du salon, certaines te font écrire; les notes griffonnées commencent à proliférer autour des livres et de l'ordinateur. Bientôt il va falloir ranger et/ou éliminer... C'est une fièvre que tu connais bien. Tu l'accueilles avec indulgence mais sans encouragement...Tu sens l'emprise et l'addiction des mots, leur double face Janusienne...  

 

Tu as exhumé , un peu par hasard cette note de janvier 2022 que tu replaces ci-dessous. Te tutoyer est un procédé de mise à distance.

 

Aujourd'hui je suis arrivé à creuser un peu sans me dire que ne faisais au juste que déplacer et

recouvrir ailleurs, sur une épaisseur plus grande.

Mais au fond, on arrive toujours à ce fouillis de racines en dessous qu'on ne démêle pas et

qui pompe sans arrêt pour le secret plus enfoncé qu'on ne voit pas.

Il bat; on l'entend parfois vaguement, la tête collée au sol, très loin, les jours sans vent -

ou quand on dort dans l'herbe.

Pour savoir, il faudrait pouvoir pourrir et revenir. Se mêler, s'infiltrer, et revenir.

Autant dire qu'on rêve , là.

 

Antoine EMAZ,

Poème de la terre, Bartavelle, 1986, p. 28

                                     

C'est cette accumulation des récits de vie sur les réseaux sociaux qui rivalise avec les livres. Mais ce n'est pas délétère à mes yeux, j'apprends à prendre la main des autres  dans un registre immatériel qui s'ancre dans le réel et les prélévements que ça suppose pour montrer ce dont il s'agit. Poussière colorée d'un kaléidoscope géant, souvent en noir et blanc. Je ne recule pas encore devant ces crêtes d'océan engloutissant, je reste à distance , une bande de sable suffisante pour voir ce qui se passe de loin, participer a minima au drame ou à l'instant de joie. L'écriture sert d'alibi pour un crime relatif que j'appelle provisoirement empathie ou fascination pour le vivant. Les paysages ne m'intéressent guère , comme si le fait qu'ils puissent contenir des "figures absentes" les rendaient coupables de non assistance à personnes en danger. J'en reparlerai certainement iCi ou un peu autour. Le temps est venu d'écrire en continu.

 

Aujourd'hui tu écris en musique. C'est la voix d'Alain Bashung qui te semble convenir à ton état d'esprit, et sa chanson L'apiculteur.

 

 

Semaine 40 - Année XXIII - Mardi 3 Octobre

Encore une journée saturée de micro-événements générant une multitude de pensées pressées de trouver une niche mentale pour se faire oublier. Il est souvent question d'échanges sur la maladie, la mort et la vieillesse. Ma lecture plutôt véloce et plaisante du roman d'Agnès Desarthe   Le château des rentiers, ne fait qu'enfoncer les clous de mes convictions sur la nécessité de faire un pas de côté par l'humour et l'humilité devant l'inéluctable. C'est tout de suite Léo Ferré qui s'impose, sur l'écran du souvenir, avec ses yeux mouillés et sa voix tremblotante, en fait- il trop ou supporte-t-il le poids de toutes les tragédies humaines ?  Je crois que, oui ! Mais sa conclusion est inexacte. Avec le temps, on aime trop ... et c'est définitif...  "Avec le temps... avec le temps...tout s'en va..."

 

 

Retour des rendez-vous médicaux. Il me faut reprendre l'histoire du genou là où je l'avais laissée. Je suis calme et attentiste, la matinée à parlementer ...

 

Semaine 40 - Année XXIII - Mercredi 4 Octobre

 

Anniv 45 ans nico

Un jour de semaine , un jour ordinaire et pourtant un jour que je dédie à la naissance de notre fils aîné. Il y a 45 ans à 15 h après un travail long et douloureux... L'impression d'être vraiment seule au monde, malgré l'attentive présence de son père, les visites espacées de la sage-femme et celle finale du médecin qui a pratiqué l'incision mutilatoire et l'expulsion au forceps... Un sale quart-d'heure comme on dit idiotement... suivi d'un abyssal soulagement teinté de bonheur inédit.  Une naissance annoncée sans violence selon la préparation Leboyer... Une sidération devant la violence de l'accouchement.Une merveille d'enfant qui n'a pas choisi cette arrivée si tourmentée... Penser à lui me ramène à ce moment de séparation si phénoménal.  Amour absolu, inconditionnel... Un jour d'anniversaire n'est qu'une date inoffensive sur un calendrier. La réalité physique est un peu plus complexe mais on ne garde que l'exploit de la mise au monde et la tendresse devant un visage qui va compter. Précieux présent d'une parole en devenir. Les deux enfants qui suivront auront la même valeur affective à une époque où l'on ne programmait pas les naissances. Une enfant d'automne trois ans plus tard, un enfant d'été six ans après. Juste le temps de remettre le corps en ordre et de préparer leur venue. Une fratrie heureuse. Des parents bien occupés. Une vie familiale ludique et chaleureuse.

 

 

En miroiren miroir...

 

Semaine 40 - Année XXIII - Samedi 7 Octobre

A nouveau la guerre comme nouvelle du jour et sa surenchère de vies dévastées. La paix au Proche-Orient est à nouveau mise en charpie. Israël sournoisement infiltré et bombardé par le Hamas, Populations de la bande de Gaza subissant aussitôt des représailles. La catastrophe humanitaire se répand comme une vilaine tâche d'huile de vidange sur le sol. Des civils au milieu, l'exode improvisée, la propagande réactivée...Comme pour l'Ukraine, la Syrie ou l'Irak, nous voici plus que jamais impliqués moralement dans le spectacle abominable de la destruction orchestrée par la haine et la jouissance morbide qui l'accompagne. Prendre parti serait inadmissible. Des ami.e.s des deux côtés du conflit et la certitude que la responsabilité des actes criminels incombe aux gouvernements  et à leurs alliances coupables. La loi du Talion n'est qu'un prétexte. C'est l'idéologie, la peur légitime mais aussi la convoitise, qui dictent toute cette horreur. La défense et l'attaque comme alternative prise de folie. Les marchands d'armes se lèchent les babines, ça va durer un certain temps, jusqu'à ce qu'un fou de plus ( ce n'est pas une femme) lâche du nucléaire irréversible... Le fanatisme est à nos portes. "On ne peut pas évacuer un patient intubé" se désole un médecin urgentiste ulcéré, coincé dans la bande de Gaza... On fait quoi ? Le drame est annoncé... Comment l'éviter ? 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


ETATS DES YEUX | Septembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 39

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Semaine 39- Année XXIII - Lundi 25 Septembre 

 

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"Avoir la tête dénuée de doutes" c'est une phrase relevée sur une image de danse où l'on voit des personnes immobiles de type asiatique, yeux clos, concentrées sur leur gestuelle prête à investir la scène collective de danse. Je comprends qu'il s'agit d'une ascèse, d'une discipline consentie qui demande des années de pratique et sans doute de souffrances intermédiaires dont le doute. La plupart des gens sont incapables de parvenir à cette finalité que j'imagine flottante et aléatoire. L'image dit que c'est possible et elle est harmonieuse, apaisante même. Est-ce que la littérature permet d'accomplir cette ascension vers l'absence (même temporaire) de doute ? Est-ce que le doute finalement n'est pas l'abstention ? Un certain silence intérieur qui force l'extérieur au même silence ? Comme un film invisible, une paroi protectrice insonorisante ? Quand j'écris, j'ai l'impression de tisser cette membrane fragile , elle se déchire facilement... Quand je lis, l'ai l'impression qu'elle s'étend à l'infini et que j'y perds les repères qui jalonnent les certitudes. L'autre doute et fait douter, sauf quand il danse comme un derviche... faisant lever l'air en tourbillon ascensionnel. Jusqu'où le suivre ?

Semaine 39- Année XXIII - Mercredi 27 Septembre 

 

 

Les bons livres affluent dans mon giron. Une brassée plus qu'une poignée... Des livres attirants et un peu invasifs que je tente de calmer dans leur piles éparses et silencieuses. Les nommer ne suffit pas, je vais en parler au fur et à mesure avec des priorités. Ceux qui n'ont pas tenu leurs promesses seront mis de côté sans mépris. Lire quelqu'un.e n'est pas une obligation mais c'est un privilège. Je vois la personne avant tout, et l'effort qui a été consenti pour ce "don de temps" dont parlait Bernard Noël ce grand écrivain qui était aussi poète et un peu visionnaire. Il a inventé la notion de "castration mentale" dont nous pâtissons de plus en plus dans un monde dérégulé et décervelant. Son oeuvre est pour moi poétique, politique et philosophique. Son intelligence sensuelle et sociale a peu d'équivalent parmi nos contemporains. Son oeuvre n'en  finit pas de me toucher. J'ai la nostalgie de sa voix, de ses paroles toujours adossées à l'intériorité confrontée au réel, de sa présence tremblée si incisive, mais en douceur. Ses mails nocturnes de réponse à l'inquiétude des ami.e.s proches ou lointain.e.s pendant les dernières années si pénibles, les traces innombrables qu'il a laissées de ses relations sincères et multiples, son regard de vieil enfant incrédule. Son courage devant la maladie. Je n'avais pas prévu de parler de lui ici et cette irruption me plaît. Pour en savoir plus, je recommande la fréquentation de l'Atelier Bernard Noël , orchestré par Nicole Burle-Martellotto, site où l'oeuvre et les témoignages , les documents d'archives sont recensés en permanence  et commentés par l'immense communauté amicale non réduite à l'espace hexagonal. On peut également approcher sa bibliographie et entendre sa voix sur le site de son éditeur (non principal) P.O.L . Bernard a beaucoup soutenu les petits éditeurs et notamment Fata Morgana. Ses poèmes sont des sentinelles pour moi.

 

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Extrait de poème 1 publié en 1983 chez Flammarion  p.25

 

Je survis à force de racines. La chair aurait déjà coulé

comme une terre grasse, mais les nerfs la retiennent, 

Les nerfs végétatifs. Les autres sont usés. Quelle floraison

blanche autour des os, ave d'épaisses touffes flexibles qui

se nouent, tandis que pâlissent les algues que de longues 

marées viennent plaquer  contre les dernières vertèbres.

L'eau est lourde et amère. Ma soif dévale le canal de la

moelle, roulant tout l'imbuvable qui racornit ma gorge.

Le silence plane entre les épaules et la mer, c'est le

prélude à une nouvelle aspiration des profondeurs. L'oeil

cherche de nouveaux domaines dans la région du coeur; 

mais tout végète. Les orbites ont blanchi. Il n'y a plus ni

paupières ni larmes. Le sang s'est retiré. Les poumons

ne sont que des mottes de bulles. Pourquoi penser ? si

le cerveau venait à s'allumer, il y aurait encore de la

suffocation, puis du vertige et puis la succion interne.

Tout ce calme est un piège. [...]

 

J'aime le relire et en parler. Je retrouve cette note :

« Un écrivain peut faire semblant de tout, mais est-il  encore un écrivain s’il ne tient pas son semblant pour rien ?  N’en va-t-il pas de même de l’amour ? » 

B.N   Le 19 octobre 1977 – textes - Flammarion

Bernard Noël a glissé d’un livre à l’autre, d’un texte à l’autre, d’un mot à l’autre, il a kiffé les dictionnaires, ces livres fous pour fous de sens, il n’a pas pu s’en empêcher. Quand c’était trop dur, il a cessé d’écrire. Du tout au rien. Il a parcouru sa propre pente en souriant.  Il nous laisse tout ou presque. Il a glissé dans la lumière blanche du néant hypothétique, mais son regard est encore visible. Ses yeux n’ont jamais chômé, ils ont glissé d’un visage à l’autre, peut-être d’un mirage à l’autre. Il n’y a pas eu de miracle, tout était déjà contenu dans l’enfance. Le reste n’a été qu’étonnements et  Il a voulu conjuguer tous les pronoms de la langue maternelle. Il a eu du mal avec le «nous», mais il a glissé dans l’amitié avec conviction et  parfois inquiétude (on les perd tous et toutes n’est-ce pas?), il  est parfois tombé de haut, certains mots glissés dans son  oreille ou l’abus de certains silences l’ont blessé, il a archivé, il a glissé hors de l’amertume, il a continué à accueillir la parole de l’Autre, dans le tout-venant, glissant d’une parole à l’autre, d’une écoute à l’autre, quand on aime on ne compte pas... Il n’a pas vu le temps s’écrouler sous la voûte de son crâne, il  disait:

J’écris sur la pente d’une prairie

Attention, tu vas attraper un rhume

je cours

l’air est vide sans danger

tout à coup une buée blanche

trop tard, ma tête dedans

et le rhume dans ma tête

Et moi je glisse d’un paragraphe à l’autre.  Je joue à glisser plus vite. L’exercice m’amuse.

Vous êtes malade

Non, j’étais fou.

C’est une maladie comme une autre.

Je ne m’en plains pas.

La glissade dans les images est une cavalcade. Une chevauchée fantasque. Une glissade dans les mots permet de changer d’air. Ce n’est pas toujours réussi mais ça console un peu de ne rien pouvoir ralentir dans les pensées du jour.

 

*

Semaine 39- Année XXIII - Jeudi 27 Septembre 

 

L'enfant du mercredi vient de repartir à l'école à pied, cartable au dos accompagné de son papy. Le réveil est toujours trop précoce, mais il s'adapte à ce rythme en économisant ses mouvements. Il me fait penser à un petit panda étonné qu'on réveille à tort. Le moment du petit-déjeuner est comme une fenêtre qu'on ouvre lentement, volet par volet, avec la perception de redécouvrir le monde, ne serait-ce que sa proximité. Ce matin, il regarde ses dessins, accrochés au mur, une longue fresque au feutre rouge qui représente une cité imaginaire dont les bâtiments sont tous reliés et où sont répétées des croix qui ne sont pas commentées spontanément. Il n'est pas élevé dans la religion mais l'un de ses meilleurs copains est tombé amoureux de la cathédrale Notre-Dame, ils en parlaient souvent à une époque. Ce qui frappe dans ces dessins de 2020 et 21, c'est la solidarité des bâtiments et l'importance des passerelles. On y voit une sorte de château-fort dont les remparts auraient été dépliés et déposés à plat... Les feuilles en format A4  sont scotchées les unes à côté des autres. Il n'y a plus de place pour en rajouter. C'est un sujet de discussion et d'attendrissement. Les dessins d'enfant sont des trésors qu'on jette généralement un peu trop vite. Les garder longtemps au mur permet de voir passer le temps et de le commenter avec tendresse. On sait qu'un jour, il faudra les enlever... On n'est pas pressé. L'enfant empile des dessins et des centimètres, le voir grandir est émouvant. Son langage est de plus en plus élaboré et ses avis plus tranchés. Quand je me plains parfois de son insolence (encore gentillette), il me dit : - Tu as de la chance mamie, tu verras à 12 ans, ce sera pire... Je réponds qu'il me restera toujours la possibilité de te mettre à la porte, oui mais... gentiment... Grands éclats de rire... Un enfant d'aujourd'hui est un peu différent d'un enfant d'hier dans ma génération qui a connu les trente glorieuses et la prospérité. Le monde autour est plus effrayant et hostile. Le cocon familial et scolaire est percé de menaces que les adultes ne savent pas bien gérer ni accompagner. Les dessins montrent tout cela . Un dessin  sanglant sur la mort de Samuel Paty nous avait particulièrement impressionnés. Longtemps des dessins d'incendie et d'explosion guerrière ont rempli des pages et des pages  avec des systèmes de protection, des sous-marins de plus en plus sophistiqués. Quelques dessins sur le COVID qui montraient le méchant virus et la machine pour le détruire. De petits bonhommes d'allure rudimentaire occupaient chacun des postes précis et la limite entre le dehors et le dedans était bien marquée. Au sortir de l'école maternelle le coloriage est devenu superflu, seules les mises en scène semblaient maintenant compter, et elles étaient très bavardes. Le goût du dessin s'est estompé peu à peu au profit de la lecture qui est devenue permanente et massive. Sur les dessins, le monde des figurines Minecraft relié à la Switch Nintendo a pris le relais - une heure par jour et pas avant de se coucher- Les cartes Pokémon semblent s'éloigner, un plein carton de chaussures au décor remastérisé contient les doubles... Il est temps d'arrêter la collection. La musique est entrée en scène, piano, solfège et déjà les premières improvisations rigolotes ( tant pis pour les voisins ?). L'enfant grandit sous nos regards bienveillants et émerveillés. Un privilège cela aussi. 9 ans déjà, une éternité de tendresse ...

 

La Cité Rouge 2021 APJLa Cité Rouge  (c)

 

Semaine 39- Année XXIII - Vendredi 29 Septembre 

La tenue d'un Journal comme celui-ci ressemble à l'égouttage des pâtes dans une passoire... Il ne faudrait retenir que ce qui se mange des yeux et ne pas trop attendre pour avaler ce qui semble nourrissant. L'eau des mots s'enfuit directement dans les canalisations de la mémoire morte et le filtre de la bonde évite les gros morceaux, heureusement il y en a peu, tu fais attention.

La sensation de gavage vient vite et ça te fait sourire. Changement d'emploi du temps depuis quelques jours. Rééquilibrage. Plus de dedans, moins de dehors. Du temps à soi pour ralentir et vaquer en rêvassant aux gestes  d'une maisonnée ordinaire. Eplucher, sectionner et faire cuire les carottes à la vapeur, les filets de cabillaud à la suite...  Mettre le couvert pour deux. Les tâches bien réparties. Lui la vaisselle chaque matin et un peu de balayage, toi la cuisine et la lessive, lui la bagnole et toi les draps, un peu de repassage et les rangements, en commun les livres, chacun ses piles, sa logique de stockage. Les retrouvailles rituelles matin midi soir. L'indépendance en journée. C'est la vie hors vacances et présences familiales. La présence de l'enfant le mercredi jusqu'au jeudi matin  est un rayon de soleil  qui  ajoute sa lumière à la nôtre. Tu trouves ta vie apaisée depuis que les contraintes professionnelles et parentales n'accélérent plus vos pas. Tu peux respirer plus amplement et élargir tes regards. Tu peux penser ta vie, la calibrer à ta convenance et surtout réfléchir à ce qui te convient ou pas.  Encore un privilège. Tu regardes des émissions documentaires ou littéraires tard, sans aucun souci de réveil imposé le lendemain matin. Curieusement, cela ne change pas ton horaire de lever. Ta grande fatigue des années laborieuses a disparu. Et même si ton corps a perdu de ses capacités motrices, le manque de sommeil n'est plus d'actualité. Tu dors moins longtemps et mieux depuis que les douleurs arthrosiques et diverses sont devenues plus intermittentes et moins invasives. Tu savoures chaque répit. Ta santé est tombée dans l'escarcelle des prescriptions en tout genre, tu fais le tri  là aussi.  

 

 

 

 

 

 

 


ETATS DES YEUX | Septembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 38

 

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JOURNAL D'AUTOMNE  

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Semaine 38 - Année XXIII - Lundi

Tu as laissé filer les jours. Mais ta tête n'a cessé de mouliner les mots comme dans un boulier de loto. Faute de pouvoir faire une sélection qui te convienne, tu as repris des contacts, rédigé des mails, une lettre importante et commencé à lire les nouveaux livres de la rentrée littéraire, ceux qui ont réussi à franchir la barrière de tes choix et de tes attirances. Encore une fois, tu t'approches des livres à l'intuition, avec un éclectisme qui n'a même pas besoin de se justifier. Tu lis pour nourrir ta pensée  avec des choses assimilables dans une langue claire et réfléchie. Tu ne lis pas pour te distraire, tu lis pour apprendre quelque chose que tu ne sais pas, ou pas suffisamment. Tu lis pour comparer les façons d'utiliser ta langue maternelle et les vocabulaires. Tu t'acclimates à la modernité qui est parfois déroutante et même décevante, mais tu fais confiance à l'intelligence et au discernement des auteur.e.s. Tu sélectionnes les plus crédibles quitte à ne rester que le temps d'un ouvrage dans leur microcosme et leurs préoccupations. Tu regardes et écoutes certaines émissions littéraires et tu attrapes au passage des références bibliographiques que tu notes pour plus tard. Tu commandes tes bouquins régulièrement à tes libraires ou attrapes sur leurs étagères, ce qui est prioritaire pour ton plaisir de lectrice. Tu n'achètes que ce qui vraiment sort du lot ( selon tes critères) pour des raisons qui ne sont pas du ressort des influences assenées par  les éditeurs ou les libraires (même les plus passionné.e.s). Tu te sens libre de cheminer dans des circuits buissonniers de l'offre littéraire.  Tu aimes la saveur des découvertes inédites. La littérature portée par des vivant.e.s. Tu aimes écouter les entretiens, les reportages sur la vie des écrivains et des poètes, des artistes peintres ou sculpteurs également. A l'âge où tu es parvenue, tu te sens dégagée des injonctions et des recommandations pressantes du système culturel marchand dominant et changeant. Tu recherches la rencontre vivante, l'authenticité et le sérieux des propositions mises en ligne sur internet. Tu préfères la qualité à la quantité. Tu te défies de celles et ceux qui veulent à tout prix se mettre en avant pour occuper l'écran dans des stratégies de visibilité personnelle de plus en plus décomplexée. Tu t'interroges sur ta propre démarche car tu n'as pas encore bien clarifié ce qui pourrait la contenir, au sens de la délimiter. La littérature est un  vieux continent qui ne cesse de se transformer, une colonie de termitières qui ne voit pas qui la commande de l'intérieur et qui travaille sans relâche en recyclant ses trésors.

 

La pluie d'automne et les brumes sont arrivées. Entre le monde et toi il y a cette fenêtre, des baies vitrées, des livres et des objets familiers. Tu cultives ta solitude et les moments conviviaux que tu acceptes en évitant les foules anonymes et les ambiances saturées de lumière et de son. Tu ne sors pas tous les jours. Tu obéis à une horloge intérieure qui te dicte le dosage de lumière extérieure et de verdure rassurante. Tu vis de plus en plus dans ta tête comme dans une montgolfière qui circule au dessus des contingences et des craintes ordinaires face aux périls planétaires. Tu ignores jusqu'à quand cette indépendance te sera accordée , c'est pourquoi tu la savoures, heure après heure.  Ton corps est moins exigeant, tu prends moins d'antalgiques, mais tu es contrainte à un suivi et à des prises de médicaments que tu trouves intrusifs. Tu ne sais pas si tu mourrais plus vite en ne les prenant pas. Tu essaies d'oublier la question en songeant à tous ceux et celles qui ne peuvent pas se soigner. C'est une injustice qui te taraude... L'arrivée de nouvelles vagues migratoires à Lampedusa  ravive ta colère. Elles rappellent l'iniquité du partage des richesses et de la sécurité. Comment éviter ces exodes suicidaires et exploités par des marchands irresponsables. Comment calmer l'illusion d'eldorado et rétablir l'ouverture des frontières pour éviter les barbelés et les soldats ?


ETATS DES YEUX | Septembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 37

 

LA SOCIETE SECRETE DES MARCHEURS

JOURNAL D'AUTOMNE  

Texte & Une photo par jour

 

 

Semaine 37 - Année XXIII - Mardi

L'inutilité des accumulations quelles qu'elles soient contredit le besoin qu'on en a pour garder le sentiment d'exister et surtout de durer. L'accumulation des notes écrites et des photographies sur ce support immatériel débouche sur la même contradiction. L'écriture déborde de partout et la photographie l'engrosse perpétuellement. D'où vient probablement mon goût pour l'arrêt sur image et le propos qui en découle. Imprévisible.

 En cela , je me reconnais dans certains personnages du livre offert à son père,cet été, par notre plus jeune fils. Je viens d'en terminer la lecture avec un double sentiment de plaisir et d'ambivalence. Le titre plutôt long attire l'intérêt et intrigue : La société secrète des marcheurs solitaires. L'auteur Rémy Oudghiri, sociologue, se décrit étudiant fictif ou réel, exilé à Paris et nostalgique de son enfance à Casablanca. Il entreprend une enquête à partir d' une question qui le taraude. A quoi peut servir la marche dite au hasard ? Celle qui ramène aux origines ou ailleurs, en passant par l'inattendu. Qui la pratique et pourquoi ? Fait-il partie de cette sorte de marcheurs et qu'en conclue-t-il pour lui-même et quelques autres ? Le livre n'a pas été choisi au hasard, car il s'adresse à un homme qui est toujours dehors, qui ne dit pas où il va et ce qu'il voit, sauf quand on le questionne. Il roule plus qu'il ne marche depuis l'adolescence et il aime lire dehors. Double éloignement qui est une errance dirigée. Des retours à heures fixes empêchent l'inquiétude. Le rituel se répète chaque jour, auquel s'adjoignent des corvées de courses alimentaires ou d'autres missions liées à l'intendance de la maisonnée. Ce sont de véritables escapades qui deviennent parfois des randonnées quand des proches les organisent. Le vélo en ville, bien que dangereux permet de sillonner les rues et les quais, source d'images toujours nouvelles et parfois familières. La médiathèque est une étape prisée. L'errance continue dans la lecture...

 

 

 

 

Semaine 37 - Année XXIII - Mercredi

POSTE RESTANTE

Tu essaies de canaliser le foisonnement des sollicitations verbales autour de toi. Elles sont plus virtuelles que réelles puisque c'est toi qui ouvres les vannes numériques chaque matin. Lire te fait écrire et écrire accentue ton désir de lire. Tu acceptes mollement le principe d'alternance entre conversations réelles et échanges à prétentions littéraires sur le web. L'usage de la langue n'a pas la même densité dans chaque espace et cela conditionne ta respiration mentale et physique de manière subtile.Tes pensées déambulent comme dans une maison encombrée ou en travaux,  lors d'un déménagement qui s'éternise. Tu visualises la superposition des cartons de livres, dont te parle ta grande Amie Angèle Paoli. Pendant l'été saturé de présences familières, vous n'avez pas eu le temps de reprendre votre échange épistolaire. Tu lui dois une réponse et tu la savoures à l'avance. Sa lettre précédente encore non publiée est un trésor tenu près du coeur. Tu aimes le ralentissement des actes de connivence malgré le fort sentiment de fuite de nos temps de vie. C'est l'inattendu de l'arrivée d'une lettre que tu guettes.

 

L'ENFANT  DU MERCREDI

Il reprend ses marques - les petits rituels dans sa chambre où on a évacué des archives de jouets, rangé la bibliothèque de bandes dessinées ou de livres jeunesse, mis en place un petit bureau de bois clair. On a gardé le château-fort, impeccablement ordonnancé, pas de guerre pour l'instant. Juste ce qu'il faut de place pour écrire les mots d'une dictée de CM1 qui parle de salle de bains et de soeur qui veut prendre sa douche. L'enfant joue le jeu et accepte de corriger ce qui cloche, très peu de chose en fait : deux à prépositions à prendre en compte, un accent aigu et un autre circonflexe dans le mot "démêler". Pas de quoi fouetter un chat. Il a déjà rédigé trois textes libres où les fautes sont plus nombreuses, mais l'imagination est là, elle s'exprime facilement. Les formulations sont parfois drôles... De dire par exemple pour se présenter : J'ai zéro frère et soeur !  

 

PASCAL QUIGNARD

Il y a longtemps que tu le lis - ses textes érudits et très élaborés t'obligent à changer ta manière d'engranger les mots - tu le lis lentement et ne crains pas de buter sur des formules latines dont il aime truffer ses pensées. Il voyage dans la littérature  avec des prédilections pour les écrits anciens et la musique où le silence  est roi . On se perd facilement dans ses évocations qui prennent allure de sentences douces ou d'allégories gourmandes. Il n'est pas d'ici et de maintenant. Tu ne serais pas étonnée de le voir vêtu d'habits en grosse laine écrue et vêtu de sandales en cuir à laçets... C'est un écrivain du lieu Jadis... Tu as hâte d'entendre sa voix dans l'émission de ce soir à la Grande Librairie. Chacune de ses apparitions et son regard bleu perçant te fascinent. Tu viens d'acquérir LES HEURES HEUREUSES dont il parlera ce soir (XIIeme volume du Royaume).

 

Semaine 37 - Année XXIII - Vendredi

 

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ACCUMULATIONS

L'écriture ne peut absorber tout ce qui s'est passé ou dit depuis mercredi. Deux fois le même personnage dans le dernier rêve des deux nuits successives et c'est cela que tu retiens. Cela parle de séparation et de mort mal vécue. Hier, anniversaire des obsèques de M.L.   à  JUJURIEUX. Trois ans déjà. Manque de temps pour mouliner les choses à dire ici dans une forme satisfaisante.

 

 

 


ETATS DES YEUX | Septembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 36

 

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JOURNAL D'AUTOMNE  

Texte & Une photo par jour

 

Semaine 36 - Année XXIII - Samedi

L'habitude d'écrire tous les jours est prise. Je n'ai jamais voulu rédiger un journal jusqu'ici. L'écriture est entrée dans ma vie par de petites portes discrètes. A considérer le nombre de notes griffonnées dans des carnets ou des cahiers successifs, je ne peux qu'admettre leur place de plus en plus visible, témoignant pingrement de ma vie passée et actuelle dispersée dans mes cartons de rangement. Je les garde à l'abri pour l'instant. J'en relis  quelques uns parfois, pour le plaisir d'en avoir oublié le contenu, j'aime leurs contenants choisis par coups de coeur et opportunités.  De petits carnets souples ou cartonnés, de rares cahiers, des  demi-feuilles volantes glissées dans des enveloppes. J'aime écrire à la main, même maladroitement, je suis une gauchère empêtrée et crispée. Je me sens obligée de repasser à l'encre sur les lettres lorsqu'elles sont trop informes. Quelqu'un m'a dit un jour que je faisais beaucoup de brouillons.  A cette époque je prenais de nombreuses notes pour mieux écouter et observer les gens.  Je ne restituais que ce qui me paraissait présentable. Double écriture, double peine...Un droitier qui n'avait sans doute aucune idée de mes efforts de gauchère pour présenter une graphie lisible soulignait ma différence. C'était sans doute un reproche à peine voilé. Pour écrire lisible il me faut du calme et du temps. Je n'aime pas précisément ce qui est brouillon et négligé. J'apprécie les belles écritures. Je les envie. J'alterne désormais  écriture à la main et écriture numérique au clavier avec un réel plaisir. L'écriture en caractère Georgia italique me plaît.

Aujourd'hui, les changements imposés par la vie me donnent envie d'explorer les possibilités d' exprimer ce que je pourrais appeler, si le mot n'était pas trop pompeux,  une quintessence de mes traces graphiques.  En formulant cela , Je pense davantage à l'extraction d'une huile  mentale essentielle aux pouvoirs identifiés et répertoriés. Mais j'ai conscience qu'il faut  que  "L'écriture ou la vie"   dont parlait Jorge SEMPRUN ,ne se fasse pas querelle. Je partage son idée qu'il faut du temps avant de parvenir à les relier, comme on assemble prudemment des éléments naturels dans un alambic. Ce n'est pas une décision anodine. Elle engage quelque chose de soi dont on ignore tout au moment où l'on passe à l'acte.

 

***

EVENEMENTS

J'apprends incidemment, un tremblement de terre au Maroc et je ressens son onde de choc moral pour tous ceux et celles qui se sentent concernés par l'augmentation de fréquence des catastrophes naturelles. Il ne faut pas beaucoup d'imagination pour s'identifier immédiatement aux victimes, à leurs paniques, à leurs cris de détresse et à toute la confusion qui va suivre. Il faut des gens pragmatiques et courageux pour faire  face à de tels drames. Il y en aura certainement de disponibles dans les jours qui viennent. Rester à l'écoute des demandes, envoyer un peu d'argent ? Quoi faire de plus ? En lisant la presse, je vois que l'empathie se manifeste et cela me rassure provisoirement.  Le centre historique de Marrakech est touché mais  des régions de montagne inaccessibles autour se retrouvent  dans un dénuement plus grand encore. J'ai toujours été abasourdie par cette propension humaine à côtoyer les dangers potentiels en faisant confiance à la chance.  Vivre près d'un volcan ou de toute autre menace plus ou moins naturelle  demande un état d'esprit  très particulier. L'humain supersitieux ou défaitiste côtoie le chercheur prédictologue qui s'ingénie à contrer les forces obscures et véhémentes. Apprendre à ne pas être au mauvais endroit , au mauvais moment peut-il s'enseigner ? Les mouvements d'évacuation me font immanquablement penser à l'exode... J'en fais des cauchemars récurrents dont je connais la provenance. J'imagine tout ce qui percute la sécurité de base des individus ordinaires. Les enfants, les personnes âgées ou vulnérables sont bousculé.e.s, séparé.e.s, parfois délaissé.e.s, comme dans un naufrage où chacun.e veut et ne peut pas sauver sa peau en même temps que celle des siens.  Ahurissement, sidération, terreur, abattement, folie parfois. Et le silence qui suit la déflagration, cette impression de fin du monde, comme une répétition générale localisée...

Souvenir du mini-séisme de 2019, à moins de 200kms d'ici, de la fragilité des maisons, de leurs failles impressionnantes et des éboulements monstrueux  [ séisme de magnitude locale 5,4 et de magnitude de moment 4,9 qui a frappé le centre de la vallée du Rhône et ses alentours le 11 novembre 2019. Son épicentre est situé près de la commune du Teil en Ardèche ]. La vie a repris depuis comme si de rien n'était.  Des échafaudages trônent un peu partout. Beaucoup de bâtiments dont des commerces sont en vente. Le centre ville était déjà  déserté. On ne parle plus de cet épisode aujourd'hui.  Silence étrange. Des gens y vivent, pour la plupart d'origine étrangère, comme résignés ou philosophes. La Centrale Nucléaire est tout près. On ose même pas dire qu'on joue avec le feu...On veut vendre des voitures électriques. C'est la fuite en avant. Carpe Diem mes agneaux !

 

RIEN A VOIR

Hier au soir, très beau match d'ouverture de la coupe du monde de rugby. L'équipe française a gagné face à celle des All Black. Je m'aperçois que cela est dérisoire. Des milliers de spectateurs et spectatrices ont payé, certains se sont grimés, pour assister à l'affrontement brutal et frontal de trente types  hypermusclés se disputant un ballon ovale trempé de sueur. Des gladiateurs rouges et survoltés, dans une cuvette transformée en sauna. Les types ont assuré, c'est sûr, il paraît qu'ils sont bien payés. A la Une , les cocoricos. Le gros titre :   EN MISSION POUR LA GLOIRE ETERNELLE  ! Mon ambivalence face à cette liesse guerrière. Est-ce que ce monde est sérieux ?

 

LETTRES

Je relis de très vieilles lettres conservées et triées par notre père. Il s'était fait un bureau au sous-sol pour examiner ce qu'il avait ramené de sa maison parentale. J'y découvre les préoccupations des années de guerre. Un échange épistolaire à l'écriture dense et encore lisible entre un père voyageur et négociant en vins immobilisé et un fils aîné mobilisé à  l'étranger à qui il prodigue une multitude de conseils. Le courant a l'air de bien passer à cette époque, en dépit des réticences d'une belle-mère jalouse et suspicieuse qui n'a pas pu se faire aimer. Elle est restée venimeuse pendant de longues années à l'encontre des deux premiers garçons de ce père qui l'ont plus ou moins rejetée, acceptant difficilement ce remariage , mais surtout le caractère possessif et hystérique de cette usurpatrice adoubée après une cour épistolaire assidue, par ce veuf esseulé. J'ai connu cette femme, je ne l'ai pas détestée en raison de la tolérance  de notre père à son égard il faisait le médiateur. Elle a bénéficié de l'usufruit de la maison, les trois garçons ont conservé les vignes qui représentaient le lien loyal au père. Tous les ont abandonné à regrets. Toute une histoire...

 

Semaine 36 - Année XXIII - Dimanche

Le goût d'écrire dès le réveil. Je l'accueille comme on dit bonjour à un être familier encore ensommeillé dans un rayon de lumière matinale. C'est le meilleur moment pour laisser filtrer les idées fraîches et reposées, en fait tous les mots qui semblent vouloir prendre place sur l'écran.  J'ai attrapé au hasard dans un sac de promenade un livre dont le titre m'attire  : AVOIR LIEU . Il correspond à mon état d'esprit.  Son auteur Emmanuel MERLE que je connais pour l'avoir croisé de multiples fois dans des événements poétiques régionaux, m'a souvent paru réservé, taiseux, malgré un sourire timide et permanent. Professeur de Lettres je crois, je l'imaginais très doux avec les élèves, les laissant s'exprimer sans renoncer à ses prérogatives d'enseignant. Il fait partie des contemplatifs à la vie intérieure puissante, indécis quant à la vraie nécessité de faire connaître ses pensées intimes. C'est pourquoi  j'ai eu plaisir à acheter son livre sobre et élégant de facture classique, publié à l'Etoile des limites. Ses textes sont magnifiques. La relation père-fils s'invite d'emblée au seuil du livre dans un décor de montagne. Un père redoutable et aimé semble-t-il.  Un père prêt à abattre les chataîgniers qui prennent "la maladie de l'encre". 

En guise d'amorce de lecture, cette note de quatrième de couverture qui m'inspire:

L'air durcissait. Comme toujours nous examinions

les signes, dans la découpe semblable et fractale des pierres du chemin et des cimes,

dans le système changeant des ombres

des nuages. Dans l'augure moderne du vol des oiseaux

et des avions qui, d'en bas, entrecroisaient leurs trajectoires.

Nous cherchions notre place.

La terre est un dos. Nous sentions sous nos pas sa bosse

immense. Tout pouvait commencer du théâtre du monde.

 

        Et sur un marque -page  un court paragraphe d'introduction que je lis comme un signe justement,comme celui de la découverte d'une plume de pie sur notre balcon tout à l'heure :

                                                                                                           

                                                                           Les lieux ont une mémoire.

Non seulement la mémoire

des arbres, des herbes qui les

ont habités, des pierres qui 

ont surgi et qui ont fait

quelques mètres dans la 

pente à l'air libre avant de

s'enfouir à nouveau, mais

aussi des êtres qui les ont

traversés, des êtres sans 

racines, dressés ou courbés

dans le même calcium et le

même carbone.

 

Il sera sans doute question de mort et peut-être de violence voilée dans ce livre , de voyage aussi , au travers de routes qui mènent toutes à des ombres anciennes, à des obsessions sans doute. Même si les paysages sont différents des miens, je sais que je vais retrouver ce qui me préoccupe, et que la langue malaxe partout et sans relâche. Je suis heureuse que ce livre tombe dans mes mains à cette heure précoce de la journée qui va être chaude encore. Les fenêtres seront fermées à la mi-journée, et les stores  seront baissés pour reconstituer la grotte d'écriture dans laquelle je vais essayer de penser et distiller l'écriture. 

 

ATELIER

Je participe depuis deux ans au collectif TIERS LIVRE créé par l'écrivain pionnier du Net François BON. Il donne la possibilité aux abonné.e.s de sa chaîne payante de contribuer à créer des textes destinés à nourrir une dynamique d'écriture en collectif qu'il voudrait proche des workshops  américains. L'idée est aussi de conforter des vocations naissantes d'auteur.e.s avec le soutien d'un groupe d'échanges dédié et privé sur le site TIERS LIVRE. Les contributions individuelles rejoignent à leur rythme le grand flux numérique des réseaux, avec un souci constant de progression et de diversification de l'usage de la langue et des images. Les vidéos y ont une place grandissante. Le vidéo poème est sans doute la forme de Littératube qui m'intéresse le plus en raison de sa concision et de sa créativité artistique. Je me contente pour l'instant d'écrire à partir des thématiques d'exercices proposés hebdomadairement le dimanche, avec une consigne bis le mercredi. Ce sont la fréquence et l'endurance qui conditionnent une certaine constance dans l'effort de concentration et qui peuvent aboutir à une publication selon la consistance du chantier et le désir de le voir aboutir. La principale qualité de ce dispositif , un peu auberge espagnole, c'est qu'il constitue une forme chaleureuse de communauté virtuelle de e-lecteurs et lectrices, ouverte et très active. La difficulté est de ne pas s'en contenter et de s'y enfermer à son insu. Il y a une majorité de femmes dans ces groupes.

 

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ETATS DES YEUX | Juillet 2023| Lettre à Jane BIRKIN et aux autres filles ou femmes

 

Chère Jane,

    Je ne sais pas où vous êtes à présent. Des inconnus cernent votre maison Parisienne. Pas mal de monde s'est réveillé, consterné ou ravagé, en apprenant votre mort solitaire, c'était ce Dimanche. Les journaux , les médias et les réseaux sociaux se sont emparés de votre vie qu'ils prétendent connaître... Une profusion de photos, de souvenirs people inonde à présent les écrans et bientôt les magazines. Mais vous vous en foutez bien sûr, vos derniers instants ont-ils été paisibles, drôles ? J'imagine un - Merde ! Qu'est-ce qu'il m'arrive, j'ai encore fait un truc qu'il ne fallait pas, mais c'est vrai je suis de plus en plus flagada, je ne remonte pas la pente, j'en ai un peu marre je crois... !  J'imagine toutes sortes de scènes , je n'imagine rien en fait, je projette mes pires craintes,  je vois simplement quelqu'un qui s'arrête de vivre et qu'on va retrouver inerte à 11 heures du matin... comme une poupée triste  - Oh ! Pardon, je voulais dormir plus longtemps cette fois ! Jane, quelqu'un de discret et de pudique comme vous qui n'a pas donné l'alerte et que sa famille va pleurer avec des millions de gens. J'en fais partie et je n'ai pas honte de le dire. Je ne suis pas fan des sixties, j'étais à peine née, mais j'ai suivi votre belle évolution artistique, votre émancipation en fait. Vous étiez l'une de ces "enfants d'hiver" dont vous aviez la nostalgie, votre enfance heureuse  sous des regards aimants, votre dégaine de garçon manqué  et débraillé me plaisait follement. Rien ne vous prédestinait à devenir une icône androgyne et hyper féminine avant l'heure. Vous avez surfé sur toutes les vagues de la dictature de la beauté, vous êtes restée intacte , juste plus fragile à l'intérieur devant les grands malheurs, les vôtres et ceux autour.  Vous la British à l'accent délicieux, êtes devenue Parisienne  puis Bretonne par goût du bonheur (parfois compliqué) et de la solitude bien employée. Votre capacité d'amour inépuisable vous a permis de devenir quelqu'un de doux et de généreux.Votre présence sur les plateaux télé n'a jamais été nunuche, vous saviez vous défendre comme un caméléon astucieux. Ils veulent que j'incarne leurs fantasmes, allons-y allons au zoo... Après tout, c'est moi qui m'amuse...  Mon chien est moins idiot que tous ces prétendants lubriques... Au moins, il sait qui lui donne à manger... Où est-il d'ailleurs ce chien ? Est-il resté en Bretagne ?  Est-il mort ou confié quelque part ? Est-ce que quelqu'un va prendre en compte sa peine ? Vous teniez votre chien comme un enfant sur vos genoux et c'était drôle. Dans le film de Gaëtan Roussel, que j'ai revu hier, vous disiez votre plaisir que les gens du coin vous foutent la paix. La Bretagne vous rapprochait de l'Angleterre, et surtout de votre père dont vous avez revisité les souvenirs de guerre... Vous aduliez votre mère, la beauté incarnée, actrice et complice, vous auriez aimé avoir fait un film sur elle , comme l'a réussi votre fille Charlotte sur vous il y a deux ans. C'est grâce à elle que j'ai compris ce que j'aimais en vous : la liberté d'aimer sans entrave, sans souci excessif des commentaires, sans possession non plus... Juste la fidélité des sentiments et la reconnaissance... Je me  souviens de votre "Gainsbourg Symphonique" en Ardèche, un monument de gratitude et de grâce... Vos derniers albums sont des cadeaux immenses à votre public. 

     Je ne parle pas ici de vos filles, car cela me met les larmes aux yeux. Bien sûr , on va voir des images, ces traques à l'émotionnel qui polluent la confidentialité du deuil. Je souhaite qu'on vous réserve un accompagnement et une inhumation aussi pudique et délicate que vous l'êtes encore dans mon regard très triste. Je vais relire votre journal intime et écouter vos disques, histoire de ne pas vous quitter trop vite et trop mal. 

    Je vous offre l'une de vos chansons, dans "enfants d'hiver", elle vous ressemble tant...

 

Prends cette main qui a beaucoup servi

Fais un pansement autour d'elle

Il faut lui apprendre

A se servir des doigts

On a coupé les ongles

Trop court une fois

Prends ces bras qui ont serré les maladresses des inconnus

Entoure ce corps qui a donné la vie 

Avec les brassières de survie

Prends cette bouche et cogne les dents

Je veux connaître tes veines tes bleus

Tes plis ta nuque  voir tes cheveux

Dans tous les sens et upside down

Pousse un peu de toi dedans

Soulève les pulls les jupes et les voiles

Je veux être devant toi à poil

Et endormie sentir le poids de ton

De ton corps qui pèse qui pèse sur moi

Je veux sentir ton coeur reposé

Contre la cage

Qui enferme  le mien

Oser être vue par toi demain

Les yeux bouffis

La main posée sur ta hanche la marque déposée

Veux-tu bien être mon dernier amour

C'est pas grave si pour toi

C'est pas grave 

Si pour  si pour toi si pour

Si pour si pour

Toi c'est pas sûr

 

 

   

Je pense à toutes les filles, à toutes les femmes qui  restent encore craintives face à la liberté, je leur dédie toute votre vie publique pour les encourager à vous rejoindre dans la joie et les pleurs. 

Jane Jolie Jane, je vous aime.

Une femme (encore) vivante.

 

 

"Charlotte, son prix d'interprétation à Cannes et 

aux Césars et Lou meilleure artiste. Je ne pense pas

qu'une autre mère au monde  ait trois filles qui 

réussissent mieux qu'elles. Elles me donnent la chair

de poule [...]

J'ai diné avec Charlotte et les enfants et  elle a dit

qu'elle était fière de moi, qu'elle comprenait la 

beauté de ce que Serge a écrit pour moi, que ma

voix était très puissante, comment Serge faisait-il

pour écrire deux chansons en une nuit ? Oh, j'étais

si contente, si heureuse."

 

Jane BIRKIN, Post-scriptum, Journal  1982-2013

 

 

ET CETTE SUBLIME LAST ONE :  JANE B...  for EVER


ECRIRE par et pour LE TIERS LIVRE | Sur consigne | Mars 2023 |  # Revisite # 03 | L'écriture à vie nue ( façon Duras)

 

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"Il est là le milliardaire, dans le ciel nu.

Et dessous il y a les gens. Par milliers [...]"

 

Marguerite Duras, L'été 80

 

 # Revisite # 03 | L'écriture à vie nue

 

ATELIERS proposé par François BON

 

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Donc, voici, qu’elle écrit pour Tiers-Livre. Elle n’est pas pigiste, ni écrivain, elle lit chaque jour des dizaines de phrases sur l’écran d’ordinateur et beaucoup dans les livres qu’elle achète. Elle dit qu’elle écrit d’abord à travers ce qu’elle choisit de lire ou de vivre. Elle n’est pas copiste, ni agrégée, ni typographe, ni imprimeuse, ni journaliste, ni professeure, ni obligée. Rien ne vient aussi bien que l’habitude prise d’aligner des mots devant ses yeux, de les prononcer à voix haute parfois. Elle aime en palper la charge poétique rythmique. Ecrire la langue lue, lire la langue écrite. Parce qu’elle a pu l’apprendre dans l’enfance dans les voix de quelques autres, devenus lointain.e.s, flouté.e.s, relégué.e.s aux légendes. Des noms, des prénoms, des fonctions. « On n’oublie les détails et on oublie les phrases, mais jamais les lieux ». Le frère disait cela l’autre jour au téléphone après une incinération. L’emplacement et la disparition des corps, leur marge de manœuvre, leur immobilité fascinante, leur orientation dans la pièce, leur ensevelissement définitif. Etrangeté lancinante d’un souvenir commun persistant et perturbant. Elle pourrait lister ces images indélébiles. Elle pourrait parler des émotions perdues. Elle pourrait hiérarchiser l’impact, peaufiner les descriptions, documenter les scènes à la manière des archéologues. Elle n’a que l’embarras des choix pour les lieux de prélèvement. La vie grouille de circonstances, d’instants de vie dont parlait Virginia Woolf, de la folie ou du calme relatif, d’anecdotes perpétuelles. Des histoires sur des histoires, des blablas à n’en plus dormir, des ragots, des discours, des postures, des maladresses, des combats, des rires, des sanglots, des pudeurs, des horreurs. Des orgueils, des moqueries, des perfidies et des passages à l’acte. Elle lit tout cela dans les journaux en zappant, le malheur lui fait mal au ventre, elle n’est jamais neutre, détachée. Elle encaisse les dividendes négatifs et poisseux de sa réflexion quotidienne sur le monde. Elle pleure en silence. Ecrire en pleurant n’est pourtant pas ce qu’on imagine de plus courant Ecrire sèchement est ce qu’on demande aux bureaucrates et aux technicien.n.e.s de la chaîne du livre. Elle pense soudain aux autres métiers invisibles, aux nettoyeuses et aux nettoyeurs de crasse collective, aux mal payé.e.s , aux malmené.e.s. A cette histoire d’éboueurs Parisiens. Car c’est le buzz de la semaine avec la Marseillaise entonnée à l’Assemblée hier, jeudi, contre le 49,3. Le défi. C’est écrit un peu partout avec des partis pris. Une liste d’agents de nettoyage qu’on réquisitionne par les rouages républicains. Pour les empêcher de faire grève et de saloper les environs de l’Elysée. Libé journal parle de cela, d’autres fulminent ou se gargarisent de prophéties menaçantes. Ecrire la vie de la cité est un bon sujet, un alibi fleuve, un puits sans fonds. Écrire ce qui se passe autour, tel que perçu, a minima se faire une idée de l’état des lieux et des liens. Mais aujourd’hui, elle regarde aussi le ciel à travers la baie vitrée. Elle doit tourner la tête, elle ne regarde pas longtemps. Elle voit les immeubles en cascades brouillonnes et pourtant arithmétiques. Elle ne voit pas la foule, tout ce qui passe et se passe, même pas à l’intérieur de l’immeuble. Le voisinage est invisible lui aussi , muré dans sa vie privée. Le fantasme de Pérec d’enlever les façades et les cloisons pour les voir est pure fantaisie d’enfant perdu. Elle pense aux enfants, à tous les enfants, avec leurs éclats de voix, leurs mouvements agiles qui lui manquent, elles les imaginent en cage dans les écoles et les maisons, dans la crèche familiale d’à côté dont elle voit le panneau de publicité, un bout de toit moche surplombé d’un grillage rouillé (que les enfants ne voient pas) et un minuscule bout de cour où des plots de plastic coloré semblent les attendre. Bientôt ils sortiront dehors avec des ballons, des pédibus, des jouets qui roulent, et les comptines retentiront. La compagnie des bébés est pourtant pathétique. La plupart réclame leur mère, ou quelqu’un qui n’est pas là, dont les bras et le regard sont trop intermittents, matin et soir, des êtres tutélaires qu’il faut attendre sans avoir le sens du temps. « Un dodo et tu verras ta mère, Mange et dors petit enfant aux joues barbouillées de larmes et de compote ». Les bébés pleurent souvent, certains plus que d’autres, on dit : « lui ou elle c’est un chouineur, une chouineuse, et de l’autre qu’il ou elle est sage comme une image », une image qui ne réclame pas plus qu’on ne lui donne. C’est pratique. Un bébé facile qui n’empêche pas de travailler, de dormir, ou de faire la fête. Les enfants savent vite s’ils sont désirés, encombrants, en sécurité ou non. Aujourd’hui leur sevrage des corps parentaux est tellement brutal (on dit que c’est la norme sociale) qu’elle s’étonne qu’il n’y ait pas davantage d’abruti.e.s et de rébellions dans les rues. Elle imagine des manifestations d’enfants réclamant des adultes qu’ils sachent mieux mesurer les conséquences pratiques d’une mise au monde, de leur faim de sollicitude et de respect qui nécessite des présences non virtuelles et un détachement progressif sans violence. La sécurité de base et la confiance en l’autre dont sont dépourvu.e.s bien des contemporain.e.s pour avancer sereinement, courageusement et honnêtement dans l'existence. La compagnie des enfants est la plus instructive qui soit. L’asymétrie des forces physiques et mentales les met sous la responsabilité plénière de qui les aide à grandir. Marguerite Duras aimait les enfants. Le sien, en particulier, Outa, qui est un enfant libre des années 68. Et il le lui a bien rendu. On disait pourtant que cette femme si sauvage et brillante était folle. Qu’elle écrivait parfois n’importe quoi. Surtout au cinéma. On a persiflé que son style ou que sa syntaxe ne relevaient pas de la Doxa Académique, elle est pourtant entrée à pleine voix dans la Pléiade. Comme quoi... C’est son visage ridé d’après la trachéo et un peu moqueur que la narratrice regarde tous les jours, devant elle, au-dessus de sa tête, à côté de celui de l’enfant d’ici. Au-dessus de ce qui est, non pas sa table de travail mais son espace vertical à lire et à écrire, à rêver... [A suivre ?].


ECRIRE par et pour le TIERS LIVRE | Sur consigne | Mars 2023 | #revisite #01 | Perec, notes concernant ma table de travail

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Comme toujours, il faut rentrer. Quitter les montagnes

pour d’autres montagnes. Quitter les ancêtres

Pour d’autres ancêtres. Le même sang.

La même pierre.

Les lacets de goudron entre les forêts

Aussi profondes que les ravins qui les bordent.

Comme toujours, il faut rentrer [...]

 

 

Cécile COULON, EYZAHUT (Extrait, Les Ronces, 2021

 

Importance de réajuster les paroles et de bien savoir à quel endroit je peux les déposer en toute sérénité et sans attendre quoi que ce soit de plus que leur présence sur le support choisi. Les dialogues éventuels avec des personnes qui peuvent interagir et accueillir le flux dans sa portion la plus aléatoire et modeste sont à même de justifier ou de conforter ou non cet effort de présence. C'est ce à quoi je réfléchis ce matin en considérant les possibilités qui me sont données de choisir comment exprimer ce qui me paraît encore intéressant à partager d'un point de vue littéraire. Il me semble que les conditions se transforment à toute allure, c'est pourquoi je dois repartir d'un point précis pour mener certains chantiers d'écriture sans souci de leur impact immédiat, mais en perfectionnant en permanence ma façon de dire par écrit ce que je donne à lire. C'est à la fois évident et aventureux. Je cherche à garder une autonomie satisfaisante dans cet acte quotidien d'écriture et une souplesse de réalisation qui rende mon travail soutenu et encourageant. Je prends appui sur ma participation présente aux Ateliers atypiques de François BON où je cherche à dépasser mon ambivalence quant à leur pertinence dans mon propre processus d'écriture. Ce sont surtout les outils d'écriture numériques, et le corpus disponible par abonnement au site Wordpress collectif qui guident mes choix et m'oblige à organiser drastiquement mes temps de lecture et d'écriture participative.  Je retranscris ici l'un des textes de réponse à une consigne de François Bon.  La concision est volontaire.

 

revisite #01 | Perec, notes concernant ma table de travail

Ma table de travail, n'est pas une table de travail, c'est un coin d'écriture sédentarisé dans un angle du salon. Fabriqué en bois de différentes provenances, il a été aménagé par nos soins conjugués, il se donne aujourd’hui des airs de cale de bateau à ciel ouvert, exigu et encombré. C’est une cabine de pilotage essentiellement numérique depuis 2004. Il est entouré de livres, de grigris en papier (citations), d’œuvres et d’annonces créatives triées sur le volet, de carnets, de cahiers et de stylos. J'y utilise un ordinateur portable relié à la box et à l’imprimante. Plusieurs mémoires externes voisinent avec une légion de clés USB. Elles contiennent la mémoire d'une partie d’archives personnelles, professionnelles et associatives. Ce lieu d'écriture qui n'est pas unique, est devenu trop intime pour être décrit précisément ou photographié. C’est un espace où je me sens à l’abri des intrusions virtuelles . Personne ne peut savoir ce qui s’y passe et ce qui se trame en temps réel. Tout ce que j’y prépare est imprévisible. C’est un enclos où seuls les familiers peuvent pénétrer pour demander quelque chose, je le quitte et j’y reviens volontiers dès que c’est souhaitable. C’est avant tout la concrétisation de la libération de mon temps de retraitée active. C’est là où mon cerveau pérégrine le mieux depuis que je dispose de tout mon temps libre à quelques contraintes( voulues ) près.


ETATS DES YEUX | Mars 2023 | Ajustements d'images | CARNET INDIVIDUEL sur TIERS LIVRE | # 01

TIERS LIVRE ATELIER FRANCOIS BONTIERS LIVRE ATELIERS  François Bon

 

L’ENTAME DES JOURS [ chantier ]



"Recherchant des preuves de la réalité

dans la réalité”

 

Nathalie Quintane

 

# 01   23.03.08

RECONSTITUTIONS

André VOLAND

Portrait 1 : Garçonnet un an  – yeux en amande – se tient au barreau vertical d’une chaise de photographe – sage – sans doute étonné – grand-mère maternelle a payé les deux clichés – enfant chéri – elle préférait le garçon à sa  sœur – elle n’aimait pas sa fille … – Mauvaise ! disait ma mère.

André et Grand-Mère Maternelle

 

Je le tiens mon personnage, il est réel mais inaccessible – il pourrait être en vie ou sur le point de quitter la vie – une vie bien remplie – Mais on lui a volé sa vie.

Je fais partie à présent des femmes à tristesse profonde – un héritage  – une mission –  un devoir de mémoire.

Les récits maternels – la légende lacunaire – l’obsession – l’inguérissable perte – le non-pardon – la colère – d’autres malheurs encore avant et après – ça n’en finit pas …

Parti en 1941 au STO – Une seule lettre envoyée à son père, sa soeur et une autre à sa fiancée. Deux tentatives d’évasion. Repris et déporté à Dachau – Atteint du Typhus – Admis à l’infirmerie. Serait déclaré mort en 1945 au moment de la Libération du Camp – Transporté dans un Hôpital Américain ( où ?). Un Abbé Déporté-Volontaire a attesté qu’il lui avait fermé les yeux. Le Ministère des Armées accorde la mention “Mort pour la France” après bien des tergiversations administratives – Aucune précision sur les conditions d’inhumation.

On peut toujours gratter la terre en vain – les preuves verbales ont disparu – la mémoire n’est qu’archives à numéros –  presque  anonymes – des bribes dans la grande Histoire – des lettres perdues ou jaunies – des documents chétifs qui se désagrègent – André n’a pas de sépulture là où il est mort – Le lieu exact est incertain – Sa mère de naissance n’a pas eu de tombe non plus – Lui, juste une plaque que sa sœur a fait graver sur la tombe de son père et de sa belle-mère. Mort à Dachau. Il a fallu attendre 1951 pour avoir confirmation d’une date de mort certifiée (sans garantie).

Je n’ai pas encore eu le courage d’aller au Musée d’Histoire de Lyon pour consulter les archives disponibles. https://www.chrd.lyon.fr/.

 

 

“Car un homme dont une personne au moins autre que lui-même peut certifier l’existence ne disparaît pas sans donner une explication à sa disparition, pense cette personne”

 

Nathalie Quintane

 

Les Parents
Les médailles du Père avant son mariage en 1920
Prisonniers photographiés en captivité sans leurs galons
Soldats Tr
Travailleurs 14-18

 

Il ne faudra pas y retourner par quatre chemins – une seule ligne de train – un passage de frontière –  un exil – une captivité – une rude soumission  sous garde armée – regards fuyants ou hostiles. L’enfer sur terre. Le reconstituer ?

Inventorier les choses sûres :  date de naissance- 7 Juillet 1921 à 9h45 – lieu de naissance Fareins dans l’Ain  au Château de Fléchères où parents employés : lui Régisseur Jardinier, elle  Couturière-Tuberculeuse – Orphelin de mère en 1933 – Une petite sœur qu’il appelle Monette – Solidarité – Remariage paternel 1938  – Un homme ne peut pas rester  seul – Mariage arrangé – Une Italienne née à Bergame, couturière elle aussi – Vie ouvrière et campagnarde jusqu’à la réquisition – tentative avortée d’y échapper –  voulait partir en Angleterre – se déplace à vélo – dénonciation du co-locataire de chambrée   – arrestation sur le lieu de travail  – départ immédiat  – aucune valise. Présence du père alerté par Patron, de la  sœur (unique), de la fiancée et de la cousine à la Gare des B . – dernières paroles criées dans la foule -Police française Pétainiste à la manœuvre – Ne se retourne pas : « Ne m’enlevez pas mon courage ! »

Avec la mise en place du STO, le recrutement, de catégoriel, se fait désormais par classes d’âge entières. Les jeunes gens nés entre 1920 et 1922, c’est-à-dire ceux des classes « 1940 », « 1941 » et « 1942 » ont l’obligation de partir travailler en Allemagne (ou en France), s’agissant d’un substitut au service militaire. La jeunesse, dans son ensemble, devient la cible du STO. La classe « 1942 » est la plus touchée et les exemptions ou sursis initialement promis aux agriculteurs ou aux étudiants disparaissent dès juin. Théoriquement, les jeunes femmes sont aussi concernées mais, par peur des réactions de la population et de l’Église, hormis quelques cas individuels, elles ne sont pas touchées par le STO

 

Respirer un bon coup – Pleurer sur les photos en noir et blanc – si peu nombreuses – ravaler les larmes et la rage – serrer les poings – ne jamais oublier.

 

Adolescence Apprenti Menuisier Ebeniste
Dans les Vignes Beaujolaises
Premier Costume du Dimanche
FRANGIN FRANGINE André Simone VOLAND 001
Frangin Frangine
André et Aimée Fiançailles

 

Il ne faudra pas y retourner par quatre chemins – une seule ligne de train – un passage de frontière –  un exil – une captivité – une rude soumission  sous garde armée – regards fuyants ou hostiles. L’enfer sur terre. Le reconstituer ?

Inventorier les choses sûres :  date de naissance- 7 Juillet 1921 à 9h45 – lieu de naissance Fareins dans l’Ain  au Château de Fléchères où parents employés : lui Régisseur Jardinier, elle  Couturière-Tuberculeuse – Orphelin de mère en 1933 – Une petite sœur qu’il appelle Monette – Solidarité – Remariage paternel 1938  – Un homme ne peut pas rester  seul – Mariage arrangé – Une Italienne – Vie ouvrière et campagnarde jusqu’à la réquisition – tentative avortée d’y échapper –  se déplace à vélo – dénonciation du co-locataire   – arrestation sur le lieu de travail  – départ immédiat  – aucune valise. Présence du père alerté par Patron, de la  sœur (unique), de la fiancée et de la cousine à la Gare des B . – dernières paroles criées dans la foule -Police française Pétainiste à la manœuvre – Ne se retourne pas : « Ne m’enlevez pas mon courage ! »

Avec la mise en place du STO, le recrutement, de catégoriel, se fait désormais par classes d’âge entières. Les jeunes gens nés entre 1920 et 1922, c’est-à-dire ceux des classes « 1940 », « 1941 » et « 1942 » ont l’obligation de partir travailler en Allemagne (ou en France), s’agissant d’un substitut au service militaire. La jeunesse, dans son ensemble, devient la cible du STO. La classe « 1942 » est la plus touchée et les exemptions ou sursis initialement promis aux agriculteurs ou aux étudiants disparaissent dès juin. Théoriquement, les jeunes femmes sont aussi concernées mais, par peur des réactions de la population et de l’Église, hormis quelques cas individuels, elles ne sont pas touchées par le STO

Respirer un bon coup – Pleurer sur les photos en noir et blanc – si peu nombreuses – ravaler les larmes et la rage – serrer les poings – ne jamais oublier.

 

[ A suivre ]



 

 

 


ETATS DES YEUX | Octobre 2022 | Lettre à Sabine HUYNH | à propos de son livre ELVIS À LA RADIO

 

Sabine HUYNH Elvis à la radio

Une mère ou plusieurs... Une fille ou plusieurs...

Une sœur ou plusieurs... Une femme ou plusieurs...

et puis toi...

 

Chère Sabine,

    Qu’imagines-tu ? Que te lire peut me faire mal ?  Ce n’est pas ma vérité du jour vois-tu. Il faut que je t’explique un peu, au risque de t’encombrer avec mes mots surgis, non du vide, mais des cinquante premières pages de ton livre lu d’une manière gloutonne, anxieuse d’en perdre une miette car je suis désireuse de te témoigner mon enthousiasme, ma joie même qu’un tel texte existe et que je viens de le rencontrer. Je m’étais figuré un livre peu épais, la couverture est trompeuse sur les images internet, et pourtant, il est presque aussi gros que ton Anne Sexton Tu vis ou tu meurs... dont les caractères sont plus larges... C’est ma première bonne surprise, les poèmes du classeur « noir » aux quatre anneaux fiables, ne pouvaient suffire à contenir toute ta colère, tout ton amour, toute ta puissance d’écriture face au destin, face à la vie, face à tout  et à tout moment. J’attendais ton livre radio guidé, dans ta prose bilingue.  J’attendais ta parole impérieuse au milieu de tous les analgésiques de la bienséance. J’attendais que des femmes comme toi ou Annie Ernaux  que tu cites dès le début (et tu ne pouvais pas savoir que Nobel elle aurait...) et bien d’autres qu’on fait semblant de ne pas entendre pour ne pas déranger l’ordre des convenances et le théâtre cruel des assignations au silence. J’attendais un tel livre de toi, et il est là, dans mes mains, « à vif », je sais que je vais  finir de le lire en apnée. Les mots affluent dans ma tête mais je veux d’abord accueillir les tiens. Déjà de beaux passages que j’ai surlignés, je les rejoindrai après. Il faut que je calme ma lecture, que je l’apaise en triant mes émotions comme on trie du linge, du plus sanglant au plus immaculé. Je dois sentir l’odeur d’une lessive maternelle pour te rejoindre et mes propres souvenirs d’enfance et d’adolescence, si différents, si protégés par des parents traumatisés depuis l’enfance mais  qui se sont consolés mutuellement. Unique et universelle, surgissant d’une sorte de gouffre de mémoire irritée, ta parole me donne le pouvoir de m’adresser à mon être intérieur. Je n’en suis même pas étonnée. J’attendais ton livre, vraiment. Le colibri* que tu es, ne pouvait que savoir éteindre un peu l'incendie à force de phrases et d'écriture...

A plus tard. Avec mon affection.

Vendredi 21 Octobre 2022, 19H31

 

*

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »

Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »


Lettre à Charles JULIET | 30 SEPTEMBRE 2022

  LE SIGNE INFINI C.J.

© collection particulière

 

 

 

 

Vendredi  30 Septembre 2022

 

Cher Grand Ami,

                                Comme tu le sais, il y a les « vraies » lettres, celles qu’on reçoit dans sa boîte aux lettres, d’ailleurs tu en as reçu une nouvelle, hier, parmi toutes celles qui vont certainement déferler aujourd’hui, différentes des lettres publiques, celles qui témoignent temporairement d’une relation privilégiée à une œuvre, et à la personne qui l’a conçue. C’est celle que je suis en train d’écrire. Pourquoi essayer de marquer le coup ainsi, seulement à ton 88 ème anniversaire plutôt qu’à un autre depuis les  presque 25 ans que je te connais ? Je vais le savoir en l’écrivant. Je pratique ainsi  le fameux « inattendu » que tu as souvent évoqué, voire convoqué, afin de faire surgir quelque chose du passé, sans en avoir eu l’intention consciente. Ta vie est jalonnée de rencontres, et tu l’as souhaité ainsi pour répondre à ton immense soif de présence et de pensée vivante. J’ai eu le goût de répondre à ta demande de rencontre après une lettre maladroite que je t’avais adressée à propos de Lambeaux, mais j’ai croisé ta route  en tant que lectrice dès 1992 , avec ton récit « L’année de l’éveil » dans un congrès de psychanalystes sur les secrets de famille dont tu ne te souviens pas. A partir de là j’ai lu tous tes livres, et grâce à toi, jusqu’au  X ème tome de ton Journal que tu m’as fait envoyer dédicacé  par ton éditeur. Je me suis émerveillée de la pérennité de nos échanges d’automne et je suis encore étonnée par la quantité d’enveloppes libellées de ta belle encre bleue que je conserve dans mes tiroirs. Je ne dois pas être la seule.

« J’ai toujours négligé mes correspondances » as-tu révélé récemment, avant de commencer à avoir ces problèmes de santé qui gâchent tes journées, et pourtant, cette vie épistolière existe et témoigne de liens humains vivants.  

Il ne m’a pas échappé que les conditions ont bien changé depuis la disparition de ta chère M.L et les effets de cette absence fusionnelle entraînent aujourd’hui des répercussions sur ta façon d’envisager la vie et les relations autour. Nous avions commencé à parler de tout cela et aussi de ton œuvre, mais ton état de santé s’est brusquement dégradé. Toi, l’éternel adolescent amoureux de l’amour  et fidèle ami a vu venir des heures moins clémentes et plus inquiétantes.  Te voici de retour dans tes recès  des années  les plus sombres de ton parcours, pour des raisons différentes, avec ce recours impérieux au silence auquel tu n’as jamais vraiment renoncé.  La lumière baisse, nous-as-tu dit, c’est pourquoi ton besoin de tranquillité et de sécurité au quotidien s’est affirmé.  Il est donc de notre devoir de prendre en compte ton besoin d’éloignement et de discrétion. Ton œuvre est là, accessible, nourricière et celles et ceux qui la découvriront sauront te dispenser de la commenter et de la lire en public. Ton besoin de spiritualité sans religion t’a mené jusqu’où tu voulais aller : cette assise en toi de sérénité longuement modelée et confortée, ce socle solide existe, et tu en revendiques le travail intérieur accompli.  Si le corps a du mal à suivre, personne ne te le reprochera. Tu as dit l’essentiel et  le juste qui donnent le signal utile à celles et ceux qui cherchent dans l’écriture ou dans l’art de quoi avancer. L’aventure est toujours la même disais-tu autrefois, elle passe par le dépouillement et s’accomplit dans la confusion primitive, la lumière s’apprivoise peu à peu jusqu’à devenir une compagne fiable, sincère, économe et bienveillante. Te lire et te relire est pour moi une Joie, tu le sais. Je la partage volontiers. Tu le sais aussi.

Mais ce soir je viens te souhaiter un doux anniversaire,

Je t’imagine entouré de personnes qui veillent à tes côtés et qui respectent ton indépendance.

 Le chiffre 88  m’a tout d’abord impressionnée. Je n’ai pas vu le temps passer. Mais soudain, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un double signe infini redressé  recèlant une valeur symbolique inestimable. J’y ai vu un signe enthousiasmant puisque dans mes recherches j’ai lu la définition qui suit :

Devenu beaucoup plus qu'un signe mathématique, le symbole infini représente aujourd'hui l'éternité et l'amour pour toujours. Il est également symbole de sagesse, de réflexion, d'harmonie et d'amitié.

On n’est donc pas totalement hors-sujet.

Je t’embrasse tendrement pour moi et un peu pour les autres.

Je t’attends.

 

Mth

De La Cause des Causeuses

 


ETAT DES YEUX | Septembre 2022 | les gens qui... | Martin Laquet et Jean-Christophe Schmitt

 

Qui sont les "gens" qu'on prend en compte et en bandoulière dans l'écriture ? Qu'est-ce qu'on regarde chez eux et dont on ne peut rien faire de bien nouveau ou utile, sinon passer les anecdotes et les détails à l'oubli avec un minimum de précipitation ? L'émotion de déflagration des découvertes n'est pas toujours ce  qu'on discerne d'emblée, mais des traces fabuleuses s'immiscent dans les rêves. C'est à cela qu'on reconnaît l'impact et la contagion des sentiments agréables. Beaucoup rêvé cet été, et de l'inracontable, du décousu de sensations argumentées, le plus souvent. Pléthore de maisons et de périples bizarres, de nombreux retours d'êtres chers et des amitiés perdues. Il n'y a rien d'étonnant car j'ai dormi dans le lit maternel, le changement de matelas devenu trop mou n'a pas changé la donne. J'ai rêvé à sa place et c'est un privilège. Une marée de désillusions et de mélancolie aussi, ont été accueillies avec un certain flegme. Puisque la vie nous échappe, laissons-la avec sa bride usée sur le cou et regardons l'horizon, sa ligne concrète de partage entre l'ici et l'ailleurs, le maintenant et le futur que cet Ami Martin Laquet capte si courageusement dans ses peintures figuratives sans présence humaine ou très rarement. Jean-Christophe Schmitt, autre compagnon de mémoire, s'y prend autrement, mais la démarche est proche. Il y a un va et vient entre le réel et la toile, une sorte de pacte de croyance provisoire qui contient toute la vie et la nature sans les nommer, peut-être pour ne pas avoir à leur rendre des comptes. Le regard de ces peintres est un insatiable questionnement sur la lumière  entichée de ses partenaires de couleur. Ils ne sont pas de la même génération, et pourtant ils surlignent et survolent les mêmes effets, entre impressionnisme et flottement du dessin ajustés à l'espace qu'ils s'octroient.Tous les deux écrivent. Leurs tableaux s'empilent comme des livres , on les touche avec des mains calmes, la peinture n'aime pas les gestes souillons, et pourtant la violence est présente, dans cet acharnement sur le point de convergence de la trace.  Peindre c'est écrire avec un pinceau, un couteau, un chiffon et parfois , le bout des doigts.  Ce  n'est guère le résultat qui compte, raté ou réussi selon des critères techniques empétrés de subjectivité,  il se détache immédiatement de son concepteur, et c'est bien le miracle, sa gratuité également !

J'ai envie d'écrire de temps en temps sur les gens qui créent, non pour  m'approprier leurs exploits, mais  pour parvenir à leur parler juste et pudique,  et pas uniquement à propos de leur travail. Bien sûr, j'ai le choix des miracles, et je ne peux guère les emporter chez moi. D'ailleurs, qu'en ferais-je , sinon des livres d'amitié, aussi éphémères que présomptueux. Mais oser dire qu'on aime telle ou telle démarche artistique, qu'elle nous "correspond" au sens épistolaire du verbe, me paraît envisageable.  Engranger le vivant même s'il passe par une toile peinte.  Ne pas le collectionner(pas les moyens) mais  en choisir des morceaux , les conserver en mémoire pour les revoir avec plaisir. Ecrire...

 


128550692_10225264723150871_5926715803370102775_o(c) Martin Laquet

 

Tonnelle_WEB(c) Jean-Christophe Schmitt 


ETAT DES YEUX | Août 2022 |La meilleure façon de ne pas avoir à reculer c'est de couler ?

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Petite réflexion du matin

Ne parlons pas à travers le prisme déformant de nos certitudes et surtout à tort dans la confusion et l'anxiété généralisées. Je voudrais revenir à quelque chose de libre, de simple et de tranquille dans l'écriture sans me préoccuper de forme ou d'allure au double sens du mot. En littérature c'est la séduction qui prévaut et la mode dictée par les médias et les prescriptions à la chaîne du commerce. Tout vieillit comme une pomme exposée à la chaleur et à l'humidité, il suffit de regarder des photos de vedettes, le suranné s'installe d'année en année, rien ne se conserve, sauf peut-être le sentiment ambivalent d'exister enfoui au fond d'un rêve, recouvert de pelures et de chiffons à la manière des hamsters. Il vaut peut-être mieux écrire seul.e  ce qu'on a  à dire, que mal accompagné.e et ne rien demander que de pouvoir le faire le plus longtemps possible sans amertume, ni illusion ancrée. Ne pas se croire insubmersible et laisser la place aux nouvelles façons de nager sans broncher, même si elles n'inventent que la facilité des techniques qui sont confrontées aux mêmes échéances, aux radicales obsolescences.

Rester au bord du bassin en souriant. Il faut que l'eau circule, même si ce n'est plus la même. Anonymisée, elle n'en paraît que plus éternelle, à condition de ne pas s'obstiner à l'analyser. Les miasmes de l'humanité ont tendance à forcer leur zèle et les chimistes de tout poil ne sont pas toujours bienveillants. La transparence de l'eau est un leurre, heureusement, il y a du savon.

 

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ETAT DES YEUX | JUIN 2022 | La vue baisse mais le regard boit la lumière

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Le Temps des Cerises est passé... le cerisier du jardin a été coupé... reste l'image d'une récolte passée... Année faste... Petites acides vaillantes disputées aux oiseaux... Non ! Tiens, elles sont plus grosses cette année là... Tu les vois là ?... Feuillage abondant et rafraîchissant... Au soleil on ne stagne pas... On implore vite l'ombre de l'arbre...Il faut regarder en haut à l'échelle des convoitises... Pour se faire des boucles d'oreilles... On garde son panier perché à une branche opportune... Crochet de fer artisanal... Sagesse des campagnes... Utilité des matières... Sens pratique économie des moyens... La générosité foncière de la Nature... Nos gaspillages anxieux... On va faire des bocaux cette année... Faire bouillir l'eau dans la lessiveuse... Les bocaux gavés de fruits au milieu de la vapeur...Aujourd'hui on congèle...  Il y a longtemps qu'on ne fait plus de bocaux pour l'hiver... Les cerises à l'eau de vie souvenir d'enfance... On les appelait les griottes ce n'étaient pas celles-ci. Retrouver l'arbre qui les fabriquaient ? Les Vergers familiaux sont devenus rares... En ville , les jardins sont collectifs et gérés localement... On n'a pas le temps de soigner les arbres à fruits... On les plante en nombre armée massive de fantassins... Dans les vallées près des fleuves...La loi de sélection naturelle a été déviée... Planter un noyau n'importe où ne fait plus de miracle... Les plus beaux cerisiers sont au Japon... Parce qu'on les aime davantage... Photos de pluie de pétales... Neige que racontent les Haïkus... Souvenir d'une statuette en plâtre peint , environ quatre-vingt centimètres de haut... Un petit voleur de cerises... Il était dans un grenier... sa tête coupée à proximité... Quelqu'un l'a recollée... Figurine nostalgique... Années 20...  Bribes d'images de plus en plus floutée dans la mémoire... La vue baisse mais le regard se déploie... Il boit la lumière... Dehors comme en dedans...


ETAT DES YEUX | JUIN 2022 | Les post-it et l'écoute...

 

PROLOGUE sans DIALOGUE

POST IT DANS UN MONDE DISTORSION FB

Ayant pris l'habitude, le plus souvent possible, d'écouter les vidéos publiées quotidiennement par l'écrivain-éditeur François BON, il m'a fallu trouver une méthode pour tamiser ses mots, comme on le ferait d'un fond de rivière ou de gravière  pour obtenir du sable un peu plus doux au contact. On dira, pour faire vite, car c'est le genre de la maison-gare pour speeder à Tiers-Livre, que mes notes de la semaine dernière, sur des post-its vert-pomme fluo, collés en paperolles les uns au dessous des autres  (j'attrape ce que j'ai sous la main...) seraient mes galets d'argile fragiles inégaux, devenus porteurs de sens et pourvoyeurs d'informations précieuses. Moyennant un abonnement mensuel, je bénéficie d'un accés niveau 3 et de la technologie moderne pour les conseils de  mise en voix sur le net à partir de la riche expérience du concepteur du site que je remercie !

J'en déduis presque, pardonnez-moi, un poème, ou une fausse liste à la PEREC pour démarrer cette drôle d'aventure sans filet.

 

AUSHA

ALEXA

Podcast ADDICT

choix de la plateforme

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THOMAN

micro NTG3   500 euros

Zoom F6

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DA VINCI

VLOG

export Wave MP3

AXIOME

Du contenu !

épine à gratter

% intentionnalité

Dans un monde de distorsions

La question de l'intentionnalité...

Solidifier et faire des passerelles

Un Arbitraire

Une histoire de vie

Une nécessité

Exercice Hypnotique

Narcotique

les boules à malaxer

Zone trouble

Le proche et le lointain

qu'est-ce qu'on trouve (creuse) dans l'intérieur de la fatigue

Tester un rythme accéléré...

Un livre en accéléré en 40 jours PDF  FB

L'extériorité à soi-même qui permet la relation à l'écriture

On était sur du funambule

en Art il n'y a pas de hiérarchie

sa nuit est un plein jour

infrangible

liste 62 fois  laisser venir 5 -7 -10

Image + Texte

Qu'est ce que vous voyez ?

Prologue

Pour se connaître

Pas d'enjeu

Les choses familières

Les choses singulières

 

: ||| :

     

   petite  fissure   :::

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                    la tête en bas  ...   écrire tous les jours
                                                                               LÉGENDE
*
           Et maintenant                  débrouille-toi !

 

 

 

 


ETAT DES YEUX | JUIN 2022 | Trop à lire Trop à dire finalement... La vie en dessous...

 

LE PARTAGE Mth Peyrin [c]

C'est un foisonnement qui peut devenir empoisonnement à la longue.  Les mots dérivent comme des bois flottés sur l'écran. Il suffit d'appuyer sur des touches de clavier ou de cliquer sur la petite bosse qu'on appelle souris, clic droit, clic gauche, pour faire apparaître et refouler le tsunami d'informations, de sollicitations, d'invitations au partage numérique... Tout le monde le dit, tout le monde le sait, le grouillement des formes verbales et sonores nous engloutit, nous plonge dans la fascination ( si bien décrit par Pascal QUIGNARD qui rappelle la racine grecque de fascinus  équivalent phallus, rien que çà !), la confusion et l'hébétement, le décervelage ( si bien décrit par Bernard NOËL dans la privation de sens)  la saturation et on continue quand même. On s'enferme corps et biens, bel et bien dans la bulle qui éclate en permanence, on s'enferre dans le faire, faire plus, faire mieux, en plus grand, en plus visible, en plus audible. On écarte les ailes du Désir pour survoler les autres et planer un petit moment en apesanteur, loin des déflagrations humaines. Les sonnailles du désordre s'assourdissent lorsqu'on peut prendre de la hauteur. Sur le sol les murs continuent à parler sous nos pas.

 

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Une petite fille crie dans la cour en bas... la cour d'une maison... c'est mercredi... ce pourrait être moi... avec ce visage dépité d'enfant qui ne comprend pas... qui  attend quelque chose qui ne vient pas, qui ne viendra pas.Elle prend sur elle. Elle verra plus tard. Elle ne crie plus. Où est-elle ? 

 

ANTHOLOGIE BOURRET

 

 


ETAT DE LA VOIX | Juin 2022| Ecouter Bruno Podalydès et/ou Liliane Giraudon| en regardant (sans son) Marina Abramović et Ulay | Juin 2022

D'une voix à l'autre... D'un regard à l'autre...

D'un corps à l'autre...

Source : Maison de la Poésie  :

1|Rencontre animée par Marie-Madeleine Rigopoulos « Un homme n’est pas tout à fait un homme, ni une femme tout à fait une femme. Les sexes ne sont pas des camps, ni des rives opposées. Les sexes passent l’un au travers de l’autre dans une nuit où les corps échappent aux attributs censés répartir les forces, les symboles, les fonctions ou les rôles. Dans La Nuit des rois, Shakespeare célèbre la nuit carnavalesque des grands retournements. Toutes les évidences tombent. Surgissent d’autres vérités dont l’éclat trouble les miroirs. Hantise des puritains : que tout se réunisse, se mêle, se confonde, s’inverse. » Denis Podalydès

2|Source Jean-Paul HIRCH : Liliane Giraudon Polyphonie Penthésilée - éditions P.O.L - où Liliane Giraudon tente de dire de quoi et comment est composé son nouveau livre "Polyphonie Penthésilée" et où il est notamment question de poésie et de prose, de politique et de genre, de "Romances sans paroles" de Paul Verlaine et d’Arthur Rimbaud, du corps des femmes et d'écriture, de Nanni Balestrini et de téléphone, d'amazones et de cancer du sein, d'Anni Albers et d’Afghanistan, du Poème et de dessins, de Jean-Jacques Viton et de Henri Deluy, à l’occasion de la parution aux éditions P.O.L de "Polyphonie Penthésilée", à Paris le 18 novembre 2021 "elles guerroient les amazones dans leurs petites armures peintes"

        Source TdF Angèle PAOLI  : Polyphonie Penthésilée

3|Source MAC Lyon : En 1986, le Musée d’art contemporain de Lyon invite les pionniers de la performance que sont Marina Abramović et Frank Uwe Laysiepen, dit Ulay. C’est l’opportunité pour les deux artistes de montrer et achever le cycle de performances par lequel ils se font particulièrement remarquer et connaissent une reconnaissance internationale : Nightsea Crossing. 

 

        Source : AMELIE MAISON D'ART  galerie d'aujourd'hui

En 2010, Marina Abramović est au coeur d’une importante rétrospective que lui consacre le MoMa à New York. C’est l’occasion pour elle d’imaginer et de créer une nouvelle performance solitaire intitulée The Artist is present. Immobile, assise à une table et Marina Abramović invite le public à s'asseoir face à elle et à soutenir son regard. L’artiste reste assise 736 heures et 30 minutes, un exploit d’endurance physique et mentale. Voyant passer devant elle près de 750 000 personnes, elle demeure impassible tout au long de la performance, jusqu’à ce que son grand amour de jeunesse, Ulay, qu’elle n’a pas vu depuis plus de vingt ans, prenne place face à elle… En pleurs mais obligés de garder le silence, ils ne peuvent s’empêcher de se rapprocher pour se tenir les mains, mettant quelques instants la performance de côté. Un moment d’émotion intense, où l’imprévu de la vie prend le dessus sur la performance artistique. Peut-être l’un des instants les plus émouvants de l’histoire de l’art contemporain et conceptuel. Voici la vidéo, on vous laisse juger par vous-mêmes :

 


ETAT DES YEUX | Avril 2022 | Denise DESAUTELS, l'angle noir de la joie,une improbable rédemption

 

Pour mon Amie Angèle PAOLI et quelques autres

 

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Les poètes femmes accèdent au goutte à goutte aux collections prestigieuses de Poésie- Gallimard, elles se comptent sur les doigts de quelques mains, le retard est considérable. La sensibilité aux défis de la vie y gagne en simplicité, en courage ordinaire et en innovations cruciales dans l'énoncé.

Denise DESAUTELS que je viens de redécouvrir est l'une d'entre elles. Ce qui me frappe le plus consiste dans le fait que les mots de chaque poème semblent se superposer très exactement aux mots que j'ai envie d'utiliser lorsque j'écris. Quant aux thématiques et aux circonstances, c'est la même chose. Une sororité se révèle , elle est à la fois mystérieuse et évidente. "Ecrire dans un corps de femme" comme je le souligne ici, est une nécessité à une époque où l'indifférenciation cherche à se substituer au clivage de genre. A chaque génération la question se pose à nouveau, mais la condition sexuée engendre aujourd'hui avec #Me Too des effets prévalents dont se nourrissent les faits divers et les médias avides de révélations consommables. Rien ne se perd dans la contradiction.

La poésie est sans doute ce qui me rapproche le plus de l'intimité d'une conscience d'appartenance à une frange d'humanité. Je sais désormais que la poésie ne sauve pas le monde, n'assagit pas les pulsions récurrentes de prédation , elle est labile et infidèle, donne raison au dernier lu sans vérification ou le congédie sans sommation, au mieux elle soulage certaines consciences ensanglantées en légitimant le non passage à l'acte ou les endort si la force d'aimer mieux et de pardonner semble inatteignables. Tout est provisoire, tout est remis en question par chaque individu, entre isolement et instinct grégaire, mais le désir qui revient a besoin de s'incarner dans une vérité qui peine à se faire entendre. La mélancolie vient de là j'imagine... Et je sens qu'elle s'approfondit avec les années de vie et de lecture. L'ennui lui fait escorte, car il n'est pas anodin de supporter que les mêmes causes puissent avoir les mêmes effets et qu'on fasse semblant de redécouvrir que l'eau chaude reste liée au combustible auquel on la soumet. Tout nous ramène aux gestes de survie des premières créatures terrestres cérébralement mieux dotées, la force physique instaurant le distingo et la loi du plus fort, la ruse réinventant l'esquive.

 

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... écoutons Denise  DESAUTELS.

 

imaginons l'autoportrait

un rideau qu'on tire, translucide

pour atténuer - oh à peine

nos fraudes

de famille, d'état

nos petits assassinats aussi

machinalement

en croix, massés

sous une gaine où il fait chaud

 

en attendant, on fabrique du néant doux

 

un peu d'anthracite ou de blanc, s'il vous plaît

autour d'une improbable rédemption

 

*

à la fin on n'a plus peur

on les regarde de près

l'enfant endormi et

plusieurs étoiles malades accolées à la terre

 

sans bien comprendre pourquoi

absolument nécessaire

la souffrance flambe dans un fouillis de bras

 

nous avançons, manière Marina Abramović

le corps tout charbon, penché

son squelette posé sur son dos, son double

grandeur nature

fragile armature d'os

châle d'été, on dirait

 

*

 

Quand tout est froissé, que deviennent

l'ombre des phrases et leur surdité de guerre.

Où suis-je - temporairement même - dans cet

       espace chauve

Que faire après. En attendant.

 

C'est fou, la chose barbare, la bête

qui se profile ferme courant rampant

sa nuque vers quelque part, ses bras plombés

 

*

 

    L'utopie est nue. Détrônée. Plus rien ne remue

sous une brousse d'appels. Viens. Vois. Touche têtu

vacarme. L'inutile trou à nos poitrines. Un livre

entier pour espérer. Du noir doux dans les phrases. Des

gorges libres. Des pulsions pensantes. Une marée

d'oeuvres de langues qu'on ne ravale plus. Et le vio-

let de l'encre coude ou poing se lève. Dit coeur absolu

dit j'aime. De survivances diverses dit pense vibre

vertige infini.

    Bibliothèque n'est pas obus n'est pas mausolée

    Devant  derrière des frontières inaudibles. Des

nous autrui humanité irradient rebelles. Et le violet

répète pense vibre vertige infini. Et son poids de

matins aux fenêtres.

 

Nous mentons presque plus.

Nous ne nous mentons presque plus.

 

 

 

 

 

 

 

 


ETAT DES YEUX | Mars 2022 | Nicolas GREGOIRE, désastre ravalé, ravaler désastre

Désastre ravalé ravaler désastre Nicolas GREGOIRE

 

À propos  de   Nicolas GRÉGOIRE, désastre ravalé   ravaler désastre,

Dessins de Pauline EMOND

Écrit(peind)re   AENCRAGES & CO

Préface Marc DUGARDIN

 

******

 

Filiation au forceps

endurance filiale

Ce qu’il leur en coûte

duo infernal

Ce qui tient malgré tout

l’image surgit glauque

hyperréaliste

à broyer dans l’oubli

un défaut  initial de tendresse

la douceur est partie ailleurs

dans la reconstruction

La soif en héritage

Ses ravins de folie

La soif terrible d’amour

son linceul souillé

 d’intempérance

Ne pouvait être que

bouleversant ce livre

ce bourbier de mémoire

la fin d’un père

la renaissance d’un fils

tragédies intriquées

misère de la soif dépassée

miroir du refus virulent

arrimage compulsif

ancré dans la violence

Enfances barrées

suspectées de

non-être

non-reçu

non-voulu

une ou plusieurs vies

expulsées salement

annoncées à la gueule

Vis et Meurs Seul démerde -toi

Tu n’as pas de quoi

insister sinon du regard

incrédule poings crispés

Noyade immédiate petit chat

Condamnation muette

Sidération glaciale

Une fin de non concevoir

Fais avec çà  vieux fils !

Répète si tu peux

la déchéance

la dégringolade

la mascarade

et tutti quanti

Rebois ton propre sang

ou répands-le

sur les décombres

Ne construis rien sur ce rien

qui te nargue

Fuis ou affronte  SEUL

ou presque      ton destin

Les mots se relisent  ici

à l’envers de l’aval

à reculons vers l’amont

retombent aussitôt

de l’autre côté du crassier

dévaler dévaluer

vandales circonstances

Le père finira par

pleurer  ultime désastre

après avoir vociféré

Comment lui pardonner

d’avoir tout bouzillé

Le poème est rescapé

dur comme un silence estropié

que la mort ignore.

Présence filiale pour témoigner

Courage résolu et révolu

Amour peut-être

 

M.T PEYRIN

 


ETAT DES YEUX | Janvier 2022 | Les marelles englouties de Marie-Ange

 

 

Lyon le Jeudi  20 Janvier 2022

 

A qui dire mes songes au goût de sel ?

Marie.Ange Sebasti, Comme un chant vers le seuil

 

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Très chère Marie-Ange,

Tu allais fêter ton anniversaire en famille, ta 78 ème bougie... je ne sais trop comment, tu ne mangeais plus ou presque ...  Tu vivais d'amour fort et de l 'eau au robinet ou peut - être en bouteille, ça ne change pas grand chose, mais ce devait être ennuyeux et en très petite quantité. J'ai tout imaginé concernant tes problèmes. Pas besoin d'un dessin ou d'un argumentaire. J'ai préféré de loin ta version subtilement rageuse, courageuse accomplie. Car tu les décrivais tous  un par un,  ces phénomènes hostiles, ces envahisseurs éhontés, extrêmement contrariants, tu les mentionnais avec agacement, comme on peut évoquer un paysage moche et menaçant où l'on se sent parfaitement étranger et sans sécurité. Faible de fait, tu souriais quand même, altière passagère du moment, au beau milieu des infirmières, et de tout leur fourbi effarant.

Tu m'as raconté ton bon Guillaume, ton ancien étudiant, l'Oasis de ton enfer sur terre avec vos ultimes traductions communes volées à  la détresse .

J'ai vu que tu parlais  avec  tendresse de tes poèmes en panade, tu regardais ton carnet bien présent... J'y mets tout, disais-tu,  mais je n'arrive plus à retranscrire. Je suis trop épuisée...  Puis-je t'aider ?

Tu aimais les visites, te faisais un devoir de les honorer sans toujours être en état de le faire, elles étaient filtrées par ton doux cerbère-aidant-de-camp, fidèle chevalier servant si riche de ses mots murmurés, de ses gestes incrustés dans une attention permanente. Un homme tendre.

 Tenir bon, tenir salon était le seul moyen  de répéter ta question inaugurale, à certains arrivants  : Est-ce que tu me reconnais ? Ta voix  alors se faisait plus anxieuse, légèrement implorante. Tu attendais la réponse immédiate, comme pour soulever, sans aucun délai, la moindre parcelle d'insincérité.

Soutenir ton regard n'était pas simple, et nous avions le souci  de ne pas en rajouter ou en larmoyer.

J'ai voulu vivre face à toi, même fugacement et tardivement, les sensations de qui se penche d'amble et sans trembler, au bord du précipice.

Je tenais ton regard comme on tient la main d'un enfant pour ne pas le laisser faire un faux pas intempestif. Je sentais bêtement que nous en étions capables, qu'ensemble nous redevenions à la fois téméraires et lucides. Je n'ai donc rien esquivé, d'autres ont fait de même, longuement, je le sais, autour de toi.  Je n'ai pas menti, oui, d'autres ont fait de même, parmi tes proches et tes ami.e.s. Je ne le regrette pas.

Nous nous sommes tant aimées en Poémie Amie... Ce beau pays des Rencontres langagières et amicales.

J'ai commenté, questionnné ta maladie, j'ai affronté les mots présents dans ta bouche et dans ta voix intacte. Six mois d'épreuve à compiler, pour toi, sans aucun répit, sans aucun espoir de guérison. J'ai porté secrètement ta douleur. Ta souffrance physique et morale, ta fatigue monumentale qui ont concassé ton corps, lançant partout des flèches vives et des poisons violents.

Mais tu étais chez toi, dans tes murs familiers, fermement arrimée à ta vie habituelle, à ton amour vivant, sans faille ni  la  moindre ébréchure.

Tu as lutté au mieux, dans ce cocon ancien, tissé par un très long, très beau, compagnonnage.

A peine quelques jours de séparation, pour vous deux, deux êtres fusionnels, s'il en est. Vous avez résisté ensemble jusqu'au bout de la catastrophe. A bout de force, tu as soudain lâché la rampe.  Presque rendormie déjà, en tout cas, les yeux clos par les secousses ambulancières, tu as quitté sans un mot de trop, ton bonheur. Fidèle à ta concision, secrète, discrète...

Attendant, depuis des mois, le soleil des grands départs, tu n'as pas cette fois  dévié ton cap,je l'ai vu  insulaire. 

Regarde, Marie-Ange,  dit ton père, réveille-toi, on voit la Corse !

Tu m'as reçue, cette dernière et belle fois, dans ce petit salon étroit en long, comme un couloir art-déco, près du secrétaire style empire de ta chère mère, bien en face des photos de famille que nous avons commentées : toi sur les genoux maternels, sur un balcon, rue Franklin,d'autres encore aussi belles, mais celle-ci la plus vibrante, la plus actuelle, la plus incomparable. Pièce unique, le début d'un amour vital, une retrouvaille qui m'a paru imminente... On ne l'a pas dit ainsi.

On aurait pu remonter le temps.

Tu as voulu me faire plaisir, et bonne figure mais tu n'as même pas touché au thé délicatement servi par ton compagnon de route et de déroute.  La rondelle de citron  silencieuse et penaude  est restée à plat, au fond de la tasse... On a dit qu'on se reverrait  pour parler poèmes, d'ailleurs on en a lu, les tiens, et en te quittant, on souriait, car  je t'ai traitée de... Françoise Sagan ! ... ce à cause de ton profil aquilin involontaire et de ta coiffure ressemblante... Bonsoir Tristesse... C'était prémonitoire... On a fait comme si de rien n'était. 

Aujourd'hui, je te pleure en sourdine, mon Amie.

Tu nous as laissé tes poèmes. Je t'aime,

Marie-Ange, moi aussi...

 

 

Marie-Th. Web Causeuse,

comme toi, comme toi...

à qui je parle tout bas...

en pensant à  quoi ?  

 

 

Prends donc

ton vol

au dessus des arbres

 

 

Va !  Viens  donc...

rejoindre

ton maquis 

 

tutoyer 

l' asphodèle

 

Prends appui

sur le sable

où les dunes 

s'activent

 

réécrivant

ton nom

en lettres

de baptême 

 

Tu peux dormir

tranquille

la mer les  bénira

 

Nous te suivrons

d'ici

sans oubli 

 

en confiance

 

scrutant 

ta trajectoire

 

sensationnelle

au levant

 

petit point

lumineux

aux doigts

exubérants

 

tenant pour

nous

profanes

indélébiles

et fiers

 

un poème

inédit 

 

venu

de loin

 

venu

de toi 

 

protégé

dans

sa main 

*

 


ETAT DES YEUX | PAR AMONTS ET PAR MOTS | écriture invasive

 

 

On peut toujours améliorer un texte

Le rendre plus fluide plus digeste 

 

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    Autrefois dans le village il y avait des fontaines en pierre surmontées de leur nom gravé sur des plaques aux allures d'épithaphes funéraires. C'était prémonitoire. En dessous les fontaines trônaient ,certaines aussi prétentieuses que des lavoirs, mais elles ont peu à peu disparu, remplacées par des robinets à poussoir , ou carrément enlevées pour économiser l'eau et rationner les touristes. Une laideronne fontaine intermittente dans le style "nous-aussi-en-Province-on-sait-ce-que-c'est-que-l'art-contemporain", a été érigée devant la grosse mairie de pierres de rivière. Elle a clivé l'électorat en-pour- ou-contre à la Dreyfus,  et fait encore aujourd'hui un bruit de splash sonore et miteux, qui donne l'impression qu'on va pouvoir boire enfin quelque chose de frais en s'asseyant sur le muret en pierre calcaire taillée au carré. C'est une illusion. Les cafés et restaurants d'en face et autour sont là pour promouvoir l'eau des alpes ou de vals, en petites bouteilles , l'eau du robinet est bourrée de carbonate de calcium et de bactéries escherichia coli en goguette. Ce n'est pourtant pas encore le manque d'eau, la rivière reste généreuse. Plutôt l'absence de moyens techniques pour  décontaminer ou déminéraliser  et ainsi éviter au passage d'aggraver les affections gastriques saisonnières lorsque la population est multipliée par dix , sans compter les petits malins qui lavent leur bagnole ou arrosent leur jardin avec jubilation. Guerre de l'eau, déjà dans les têtes et les tactiques d'approvisionnement. Dans la garrigue l'eau se cache par peur de l'insolation. Les stations d'épuration ont donc succédé aux drainages rudimentaires, à ciel ouvert ,des caniveaux, certains pestilentiels dans les contre-bas des murailles du bourg médiéval. Les puits sont restés secrètement enclos en des propriétés bien gardées et bien transmises. Le protestantisme jouxtant le catholicisme avec des manières à couteaux tirés. Les puits communs à servitude ont été déclarés insalubres et dertains bouchés. Comme pour la nourriture locale tout a dû passer par les fourches caudines de l'administration et de ses réglementations. Pour s'éclabousser  et ripailler heureux il faut se cacher un peu. 

L'eau des mots, tiens ! Qu'est-ce que c'est ? C'est la matière emmagasinée ou engorgée d'une source mnésique interne, mais laborieusement apprise au contact des autres générations. L'eau est un bien commun qui se transmet, les mots aussi. L'eau des mots éclabousse également. C'est évident et dérangeant parfois. Ses états sont fluctuants en raison de ce qui la propulse, l'agite, la contient plus ou moins facilement. Une vasque d'eau sans mouvement s'envase très vite. Une phrase sans vitalité en fait de même. C'est la mémoire qui bastonne le vocabulaire, le remue, le soulève et lui réclame toujours plus de vigueur et d'efficacité. Avec les ordinateurs et leurs données partagées, la mémoire individuelle s'annexe une mémoire collective qui grossit à vue d'oeil . Les citernes débordent. Apprivoiser toutes les eaux de déverse, comment faire ? Comment dire ?

 

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ETAT DES YEUX | Janvier 2022 | LE PORTAGE DU MONDE | Voix flottées 1

Aujourd'hui je suis arrivé à creuser un peu sans me dire que ne faisais au juste que déplacer et recouvrir ailleurs, sur une épaisseur plus grande.

Mais au fond, on arrive toujours à ce fouillis de racines en dessous qu'on ne démêle pas et qui pompe sans arrêt pour le secret plus enfoncé qu'on ne voit pas.

Il bat; on l'entend parfois vaguement, la tête collée au sol, très loin, les jours sans vent - ou quand on dort dans l'herbe.

Pour savoir, il faudrait pouvoir pourrir et revenir. Se mêler, s'infiltrer, et revenir. Autant dire qu'on rêve , là.

 

Antoine EMAZ,

Poème de la terre, Bartavelle, 1986, p. 28

                                     

 

 

 

 

 

C'est cette accumulation des récits de vie sur les réseaux sociaux qui rivalise avec les livres. Mais ce n'est pas délétère à mes yeux, j'apprends à prendre la main des autres  dans un registre immatériel qui s'ancre dans le réel et les prélévements que ça suppose pour montrer ce dont il s'agit. Poussière colorée d'un kaléidoscope géant, souvent en noir et blanc. Je ne recule pas encore devant ces crêtes d'océan engloutissant, je reste à distance , une bande de sable suffisante pour voir ce qui se passe de loin, participer a minima au drame ou à l'instant de joie. L'écriture sert d'alibi pour un crime relatif que j'appelle provisoirement empathie ou fascination pour le vivant. Les paysages ne m'intéressent guère , comme si le fait qu'ils puissent contenir des "figures absentes" les rendaient coupables de non assistance à personnes en danger. J'en reparlerai certainement iCi ou un peu autour. Le temps est venu d'écrire en continu.

 

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Peintures de Winslow Homer  - Source web -

 


ETAT DES YEUX | Janvier 2022 | "CE GESTE D'ENCADRER LA VIE" comme le fait cette jeune femme

 

Pour  Gracia BEJJANI

à la terre Libanaise... écartelée

 

On se retrouve un jour d'hiver, accroupi.e.s et côte à côte,en appui contre un mur, pour filmer ce qui reste, ou ce qui est représentatif d'une idée ancienne sur la joie de vivre et sur les raisons de continuer.  On fait l'inventaire fou de ce qui reste à voir et à penser puis, on s'en va plus loin avec un poids de moins, juste un petit caillou un peu plus discret dans sa chaussure. On l'a relégué dans un angle mort en gigotant avec l'orteil connecté. On reprend peu à peu ses marques : on écrit ce qu'on a à écrire et on crée ce qu'on a à créer. On sourit et on rencontre la vie qui répare ses roues usées, brocante sans charme.

 

  


ETAT DES YEUX | Mai 2021| L'écriture au présent

 

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" Quelqu'un qui n'est pas moi attend de moi un geste silencieux..."
" Dire n'est pas un geste suffisant pour toucher le fond... "
" Maintenant la main cherche à tâtons une page habitable..."
" Déjà plus est aussi redoutable que pas encore..."
 
Bernard Noël à Laversine avec Mathias Pérez, Ce jardin d'encre
 
 
 
 
 
 
 
Se remettre devant l'assiette et attendre. L'écriture vient du quotidien. Pas la peine de ramener le tumulte là où l'on ne peut pas le contenir. Ne pas chercher ailleurs . Reprendre les mots un à un pour les incorporer. Les garder à l'abri le temps nécessaire. Écrire c'est respirer, c'est avaler et exhaler du sens. Rien n'est simple. Je regarde les petits morceaux de fraises dans leur jus, les feuilles de menthe ne sont pas là par hasard. Elles infusent. Il faut du temps pour installer une saveur, pour la reconnaître. Dans l'écriture c'est pareil.
 
Aujourd'hui je rassemble mes mots. La voix de Bernard Noël ramenée par Armand Dupuy résonne dans ma tête. Elle reprend doucement le fil de nos amitiés recousues. Du livre à la voix, des chemins foisonnants que j'ai le goût de parcourir à nouveau. Dimanche est un bon jour pour de telles explorations.

ETATS DES YEUX | HIVER | 30 Janvier 2021, L'écriture c'est le corps... Le corps c'est la voix...

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ  aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais  j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... 

Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux...

L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement. Aujourd'hui, j'ai envie de donner en exemple les écritures de femmes qui m'ont été signalées par cet enregistrement audio en provenance des réseaux sociaux d'internet. Je vous laisse écouter et faire votre propre voyage intérieur en les écoutant...  La voix écrit aussi...

 

 

 

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Muse...Fantasme... En poésie comme ailleurs les femmes ont longtemps été dépossédées de leurs images, de leurs corps et de son expression.

Dans ce documentaire polyphonique, sept poétesses d'aujourd'hui évoquent la place du corps dans leurs œuvres.

DIRE NOS CORPS voix de poétesses contemporaines

Avec

Guillonne Balaguer

Brigitte Baumié

Béatrice Brérot

Lili Frikh

Souad Labbize

Anna Serra

Fabienne Swiatly

 

Réalisé par Maïté Haddad & Maud Leroy,
Auprès de RadiOlive et Mehdi Ahoudig,
Dans le cadre de la résidence radio Si Loin Si proche


www.radiola.media/siloinsiproche

 

POUSSIN

Nicolas POUSSIN (1594-1665)  - Les Bergers d'Arcadie (première version, Chatsworth House (Derbyshire


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


ETAT DES YEUX | HIVER | 28 Janvier 2021| L'intranquillité en sourdine...

 

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La Muraille de Chine , Christian BOBIN

 

Je pense qu'il faudrait tout remettre à plat sans chercher à bilanter le passé. De plus en plus connectée et de mieux en mieux dans ma tête qui regarde tout autour avec incrédulité. La télé nous dit que c'est le mal de l'époque, il est exacerbé par la pandémie, sa gestion au jour le jour... Les sociologues s'y mettent, les philosophes révisent leurs concepts, les psychologues font des plans de carrière numériques, les médecins font les pompiers, les petites mains des hôpitaux et les "accompagnant.e.s" héroïsé.e.s par intermittences, les agents de livraison, les commerçants hiérarchisés en strates d'essentialité, les gens ordinaires, les enfants, les jeunes, les moins jeunes, les anciens, s'adaptent au fatras des annonces fatalistes ou providentielles... Des bavardages à n'en plus finir, et un besoin criant de silence ou d'oubli. Je ne sais pas trop comment orienter mes pensées sans boussole fiable. Alors je décide, et c'est une chance, d'attendre et de pratiquer l'écriture et la lecture en privilégiant ce qui me fait encore vibrer et me donne l'envie de donner ce que je peux de compassion et de bienveillance. Je veux décolérer sans dédouaner qui que ce soit des erreurs commises . Les constats sont pénibles à empiler dans la mémoire, trop de casse, trop de mépris, mais il faut faire ce dernier effort de détachement pour déblayer tant soit peu la conscience et rester calme... le plus calme possible. Aimer aussi, pas d'autres objectifs à court terme. Régler mes micros et mes casques d'écoute, appuyer et cliquer sur les bons boutons pour rester en phase avec quelques un.e.s. Digérer mentalement l'absurdité suintante de la situation générale. Ecouter l'enfant grandir et commenter  la chute de sa première dent de lait.


ETAT DES YEUX | HIVER | Samedi 16 Janvier 2021 | Ne pas tomber dans la confidence mais raconter quand même...

 

CHATEAU DE FLECHERES NAISSANCE DE MA MERE

     A partir d'une photo précieuse, car unique , constituer une trame de support pour trier les souvenirs et les choses à exprimer. Il ne s'agit pas de soulagement, ni même de nostalgie. Plutôt de curiosité sur le procédé à fin d' explorer les capacités de mise en forme, sans doute de mise en récit, pour quelque chose qui a compté et qui compte encore. Mais je dois prendre garde à ne pas tomber dans la confidence...Pourquoi cette précaution ? Bien des gens qui se mettent à écrire, même tardivement, sont confrontés à cette question de la confidentialité, souvent confondue avec la discrétion et le respect de la vie privée des autres. Primum non nocere comme en médecine... Mais existe-t-il une méthode de soin qui ne soit ni invasive, ni asymétrique ? En littérature ( puisque c'est le but lointain visé...),il s'agit de "traiter" des "éléments" biographiques, de les manipuler à distance avec le risque de distorsion et d'interprétation erronée des données verbales et des traces matérielles. Il y a aussi un désir très fort d'anonymisation de l'histoire personnelle. Après la mort des parents et de la parentèle de même génération, on se retrouve en première ligne pour contruire une légende de vies plurielles sur plusieurs paliers de descendance et d'ascendance. Il n'y a que cela qui m'intéresse car c'est ce que je peux le mieux connaître malgré d'énormes lacunes qui distillent les questions sans réponse. Pour autant, c'est de soi dont on a envie de parler en priorité, de cette construction intérieure faite à partir de l'environnement changeant et du mouvement des mémoires imbriquées. Le récit biographique est un puzzle qui me fait penser aux fresques à demi effacées que les archéologues et les artistes peintres font renaître à partir d'éclats, de "restes"... Peut-on devenir l'archéologue de sa propre vie mentale et mnésique ? Pourquoi pas ? Mais ne pas s'y enfermer comme dans une nécropole... "Donnons nous du vivant " écrivait l'Ami Charles dans "La lumière des saisons". Je n'explique pas ici cette photo.Elle condense tellement de pensées et d'émotions que sa beauté visuelle me saute encore au visage. "Instants de vie" dirait Virginia WOOLF qui  peuvent être évoqués seulement dans un "vrai livre" à "faire éditer" dans une forme lisible et attachante pour une poignée de lectrices et de lecteurs en proximité ou en perspective. Chantier ouvert... où les larmes ne sont pas exclues. Ecrire en pleurant, cela m'est déjà arrivé, et comment avouer qu'il s'agir d'une expérience humaine rare et délicieuse. Sensation de décongestionner une peau gonflée de miasmes et de luttes à huit clos entre réminiscences...  


ETAT DES YEUX | Hiver | 7 Janvier 2021 | Quand on est raccord ou pas raccord...

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Doucement les robots ! Celui de l'enfant hier était un peu niais, s'imaginant qu'il pouvait mener à la baguette un môme de six ans pour le mettre aux ordres. Movi le robot Fischer Price a vite compris qui était son maître. Malgré son sourire d'émoticône, sa marge de décision a très vite été réduite à peanuts. Les dés étaient bipés. Cela me fait rire rien qu' en y repensant. Ce jouet était rangé dans un coin depuis plusieurs années et malgré son look aguichant, il n'avait pas eu le succès escompté. Je crois qu'il faisait un peu peur et sa voix était trop bizarre. On invente des robots pour remplacer les humains  et on les dote de capacités d'action qui étaient inimaginables pendant ma propre enfance.Si on m'avait dit à six ans que le fameux "Sésame ouvre-toi !  " n'avait même pas besoin d'être prononcé pour qu'une porte s'ouvre, je ne l'aurais pas cru. L'irruption d'objets téléguidés par des composants électroniques qui n'ont pas cessé d'envahir nos vies, on n'oserait guère la contester aujourd'hui, et surtout prétendre qu'on peut s'en passer dans la vie domestique. Sauf à se sevrer volontairement de tout ce qui rend moins pénible les tâches ingrates et répétitives, la communication facilitée, la mémorisation infinie d'événements de vie par la vidéo, la production de musique à volonté. Acheter un 45 tours, ou pire un électrophone relevait autrefois d'un luxe inoui.

J'aime rebrancher  le vieux magnétophone Philips à cassettes de notre père . Tous les appareils qu'il utilisait étaient sacrés, chasse gardée, on n'avait pas le droit d'y toucher. Il était mélomane et nous a fait écouter beaucoup de musique. Il nous a encouragé dans la pratique instrumentale. Lui-même était en nostalgie de sa mère qui jouait du piano. Il n'en avait pourtant pas de souvenir. Elle était  pour lui comme pour nous , un fantôme...  Il ne faut pas que je parle d'elle ici. Ce n'est pas le lieu. Mais je ne me censure pas. Je laisse les sujets arriver pour amorcer la pompe de l'écriture. J'ai la sensation physique d'aller puiser au fond d'une citerne.  Je vais faire une pirouette pour ne pas m'engager plus avant . Citer la quatrième de couverture du livre de Martin LAQUET pour faire transition avec autre chose: 

                               

                                je m'en souviens 

                                comme si c'était demain

                                

                                je lis par-dessus ton épaule

                                le vent tourne les pages

                                de nos corps

                               

                                et quand  tes yeux jonglent

                                avec les astres

                                je donne ma langue au chat

 

Je n'ai pas de chat mais je tourne volontiers les pages, mon corps  s'endort tout doucement. Je guette le signal de basse de vigilance.  En attendant je lis...

Qui couvres-tu en écrivant , écrit Michaël GLÜCK dans  La mémoire écorchée, Qui  couvres-tu en ne le faisant pas , ajoute-t-il, il compare les deux phrases à Une lame de rasoir dont les tranchants se tournent le dos. Cette formulation me semble juste et complète et je réfléchis à cette notion de "couvrir", couvrir c'est protéger, épargner, mais on n'est pas certains de savoir qui est visé. Dans un poème, on n'est pas obligés de répondre à la question.  J'aime la compagnie des gens qui écrivent, qui ont cette pratique intensive de l'écriture et dont l'expérience est déjà ancienne même s'ils ne sont pas devenus célèbres. Je m'identifie à leurs cheminements , à la façon dont ils justifient ce mouvement vers la page à écrire. J'aime en entendre parler, cela ne me lasse pas. J'aime aussi le résultat abouti qui devient un objet en partage plus ou moins attirant dans son écrin de hasard. Je sais qu'il y a trop de livres en tout cas trop de livres à lire, c'est pourquoi je fais confiance à mon intuition pour les choisir, et je me laisse parfois influencer. Cependant , lorsque je pénètre dans une librairie, je me dirige toujours vers les auteurs dont j'ai envie de suivre le travail. Mais comme Charles JULIET à une époque, je me laisse facilement happer par un titre, une belle fabrication à l'ancienne, des couleurs , la sobriété et l'originalité d'un grammage et de la typographie . J'aime qu'un livre soit beau, qu'il prenne une certaine place dans mes mains  avec un poids et un format qui me convient. J'aime glisser un livre dans une poche, un sac , pour qu'il m'accompagne. Cela rejoint la question des gros livres... Je crois que je ne les préfère pas. J'ai d'emblée l'impression qu'on cherche à me voler mon temps... C'est la raison pour laquelle je lis peu de romans. Je préfère les récits et les formes littéraires mixtes, c'est pourquoi qu'un écrivain comme Pascal QUIGNARD me convient. Il faudrait que je développe... 

 

Aujourd'hui j'ai installé le vieux bureau des enfants dans l'ancienne chambre du fils, et la belle lampe avec l'abat-jour bleu reçu à Noël, elle éclaire bien. Je serai devant la fenêtre.  Je verrai la grosse maison blanche qui sert de micro-crèche.En hiver, on entend rien, en été ce sont des cris de bébés et de jeunes enfants qui montent jusqu'à nous sans qu'on les aperçoive, et les chansons des puéricultrices. Je ne crois pas que cela me dérange si j' écris ici. Je pense à Marguerite Duras qui aimait observer les enfants de la colonie sur la plage.  Les enfants sont pour moi une source d'écriture. 

 

                                                           

 


ETAT DES YEUX | Hiver | 6 Janvier 2021 | Comment lit-on les gros livres ?

 

Rois & reines

 

 

Mercredi 6 Janvier 2021

 

Les Rois et les Reines font galette commune dans un Royaume pour de faux. 

Une réflexion de l'enfant, au début d'après-midi, m'est restée comme question de tête, jusqu'au soir... Me désignant  le gros volume de correspondance entre Albert CAMUS et Maria CASARES  coincé entre deux piles  de bouquins . -Je me demande comment on fait pour lire un si gros livre ? Ma réponse n'a pas été spontanée, l'étonnement du petit était trop grand et trop sincère pour bacler l'affaire. Pourtant... toujours l'humour remporte dans ces moments là : - le gros livre... Eh ben... On le pose sur la table, on s'assoit devant et on prend le temps qu'il faut ! L'enfant perplexe : - Ah ? Bien sûr !... On change de sujet, on retourne jouer et je ressasse après son départ que ma réplique est insuffisante et peut-être même un peu trop vantarde. Qui lit vraiment les gros livres et de cette manière aussi simple, s'y mettre tout bonnement  ? Comment lui avouer que ce livre-là m'est tombé des mains.  Non en raison de son poids, mais en raison de la déception qu'il m'a causé. Je peux l'écrire ici, CAMUS m'a déçue... Maria CASARES m'a émue... J'ai éprouvé le même désagrément en lisant les Les "lettres à Olga", écrites en prison entre 1979 et 1983 de Vaclav Havel à sa femme. Gênée de bout en bout par le ton du mari à sa femme, par ses exigences, ses rerproches... sa relation d'emprise...

Tout cela pour dire que je serai toujours du côté des femmes opprimées, à l'écoute de leurs frustrations ataviques en raison d'énormes décalages culturels entre leurs désirs et leurs réalités d'amantes, d'épouses, de compagnes. A la manière des fouilles archéologiques , et sans doute en raison des mouvements féministes, on ne cesse de rédécouvrir que derrière les grands hommes célèbres, il y a des femmes, des servantes, des petites mains, des muses utilitaires...  Et être reconnues comme femme de... est devenu à la mode. Le problème désormais est que le balancier risque de remettre dans l'ombre , bien des oeuvres et des mérites, et ce n'est pas vraiment la bonne voie à suivre. J'aimerais qu'on remette aujourd'hui les compteurs à zéro, est-ce possible ? Reconnaître que tout(e) seul(e) devant une oeuvre à réaliser, on n'est pas grand chose... C'est la raison pour laquelle je considérerai désormais avec beaucoup de curiosité et d'attention, toute publication qui permet de donner un point de vue de proximité de la part de proches selon leur voeu, en langage partageable, dans le respect total de l'intimité et sans esprit de rétorsion ou de dévaluation vacharde. Le commentaire d'une oeuvre par un éclairage contextuel de proximité n'est pas inintéressante pour mieux la comprendre et l'accueillir.  Dans l'après-coup au moins, (post mortem ?) cela permet de mieux saisir les nuances et les partis pris d'une énonciation. Il, elle écrit cela, à un moment donné et cela a un sens particulier, avons-nous les bonnes clés, autres qu'intellectuelles, pour lire les subtilités, l'arrière-panorama de toute phrase ? Ce qui m'intéresse finalement dans les livres, c'est l'intention et l'aboutissement , entre les deux, toutes mes questions font ventre...  Oui, j'aime bien savoir ce qu'on me fait avaler ... ma crédulité en dépend...  


ETAT DES YEUX | Hiver | 5 Janvier 2021 | Les résurgences du parloir miroir

 

Les pas dans la neigePas dans la neige au Clos Fleuri - photo modifiée Mth Peyrin

 

 

Ce pourrait être une lettre adressée à un.e  ami.e, pour donner des nouvelles…

Cher.e Toi ,

J’espère que tu vas bien et que ma lettre te fera passer un bon moment à mes côtés. On les écrit sur écran désormais, mais l'envoi postal fait encore partie de mes préférences. 

La semi-réclusion devenue volontaire a du bon. J’écris. Dans ce massif d’immeubles urbains d’origine ouvrière, mon compas visuel limite mon regard à un grand demi-cercle côté ouest depuis le balcon du 3°, deux petits côtés sud et nord, et un petit rectangle de verdure en aplomb des chambres, la nôtre, et celle du grand fils devenue mon antre à livres, une sorte de grenier perpétuel où je rêve de poser mes plages d’écriture et de lecture. C’est l’un des lieux d’écriture qu’il me faut garder. L’installation est en cours mais il me faut auparavant délocaliser des archives familiales précieuses devenues encombrantes. Je ne les veux pas encore loin de moi.

La résidence de co-propriétaires porte bien son nom : « Le Clos Fleuri ». Elle fait partie des anciennes propriétés arborées glanées par la pieuvre immobilière, sur le territoire des roseraies du 8° à la limite de Vénissieux. Le périphérique sud tout proche est devenu un fleuve bruyant qui a repris son flux de voitures incessant après les trop courtes interruptions de confinement. Show must go on… dans la fuite en avant… Toutes les questions de reprise économique sous l’injonction d’un capitalisme qui n’a rien compris de la leçon pandémique nous assaillent de toute part. La pauvreté devient criante à chaque coin de rue, les visages dehors s’évitent et chaque personne se déplace seule ou accompagnée de petits et bien moins d’anciens, comme si une menace pesait sans interruption dans l’air déjà pollué de la cité. Le grand air et l’espace sont loin, mais ils sont accessibles dans les horaires de couvre-feu. Il est bizarre de revivre ce dont nos parents et grands-parents nous ont parlé à longueur d’enfance. Deux ou trois guerres et l’ambiance de pénurie, de délation et d’arbitraire qu’ils ont surmonté en laissant derrière eux des morts tragiques… Aujourd’hui, je pense aux morts récents de la pandémie, parfaitement invisibles humainement, sauf pour les soignants, les familles et les fossoyeurs dans le brouhaha télévisuel que les statistiques lancinantes des médias peinent à incarner. Les enjeux contradictoires de générations semblent prendre une tournure d’affrontement attisée par les réflexes égoïstes de temps revenus sans foi ni loi. Le système D est prévalant et le raisonnement à courte vue avec ses cortèges de stigmatisations et de défis. Phénomènes éthologiques plus que politiques. Des masses humaines stigmatisées sont empêchées de circulation, reléguées, menacées çà et là… Ici, et pour l’instant, nous sommes à l’abri des plus gros désordres sociaux. Nous sommes des privilégiés sans être des nantis de haute volée. Nous payons nos impôts, nous aidons nos enfants impactés par leurs conditions de ressources aléatoires et restrictives. Nous prenons soin de notre seul petit-fils comme s’il était l'unique petit Prince malicieux et inquiet pour sa rose, car conscient de tout, sur une planète qui manque de jugeotte. L’enfance à portée de regard est la seule consolation de ce XXI ème siècle devenu confus et dangereux.

Dans mon miroir, le matin, je vois une sexagénaire sans maquillage, un peu usée, qui n’a pas envie de se plaindre mais qui ne cesse pas de se poser des questions. En lisant les autres, elle prend ses repères et elle affine sa vision de l’usage des mots. Beaucoup sont inutiles, mais chaque parole demande à être lestée d’humanité meilleure. Cela s’apprend tout au long d’une vie et on rate beaucoup dans ce domaine.

Lorsque je pense à toi, je me rends compte que je ne sais rien de ce que tu vis en ces moments un peu trop déroutants. Personne n’a vraiment envie de s’épancher sur son sort de peur des comparaisons et de la banalité des phrases qui pourraient en découler. Comment parler de cœur à cœur, d’esprit à esprit quand le corps à protéger prend toute la place et le champ d’intérêts. Te savoir pruden.t.e face à la diffusion du virus me rassure, mais dans la réalité , je sais que l’on prend toutes et tous des risques à chaque fois qu’on sort de nos tannières. Il y a toujours des sacrifié.e .s en première ligne, des mal payé .e.s qu’on  envoie comme des soldats, et qu’on appelle héros lorsque ça arrange nos principes éthiques vite balayés. Le cynisme fonctionnel des gouvernants appelé pragmatisme, et du fonctionnariat aux ordres, appelé citoyenneté ne laissent pas de surprendre en ces temps bouleversés.  J’aime bien ce mot « tannière », qui me fait penser aux grottes préhistoriques où nos ancêtres s’éclairaient à la torche de graisse enflammée et se réchauffaient au feu de camp, habillés de peaux de bêtes, ingénieux pour la survie. Autour des animaux féroces tout aussi traqués qu’eux et sans doute des durées de vie plus brèves que les nôtres…

Je pense que j’aurais fait partie des premières victimes si j’avais vécu à ces époques, dans une guerre aussi… Et c’est étrange de penser cela.  Cela me peine pour les gens qu’on laisse, mais je le sens intimement dans mon corps. Je ne suis pas pourtant quelqu’un qui ne se défend pas ou suicidaire, mais le plaisir de l’attaque me paraît superflu, la mort vient facilement, il ne faut pas la prier très longtemps. En attendant, je profite lentement du sursis. La vie est généreuse lorsqu’on est encore du bon côté. Comment aider les autres ?

C’est bizarre de dériver ainsi dans l’écriture. C’est comme si je parlais à moi-même en t’écrivant, et c’est sans doute le cas. Est-ce vraiment utile ?

Toi, seul.e pourrait me le dire si tu le peux franchement.  Que tu ne me répondes pas est aussi possible, je ne t’en voudrais pas.  Je pense encore  à la fabuleuse écriture de Bernard Noël. Je viens de retrouver un livre d’artiste illustré par Jean-Gilles Badaire avec des mots qui disent exactement ce que je ressens, à condition de m’éloigner de la réalité. Ce sont des poèmes qui s’adressent à trois prénoms (ces personnes existent donc !) Le titre est déjà une offrande : Présent de papier, c’est édité chez le grand Jacques Brémond , «  Achevé d’imprimer entre froids de l’hiver et bruissements de l’été sur les presses typographiques de l’atelier de Montfrin de 2009 à 2010 » . Pour finir ma lettre , je te recopie celui qu’il dédie à mohammed.

 

bienvenue au silence

où s’avive le souffle qui vient

habiter la demeure mentale

amitié pensive puis la mémoire

mâche un peu de temps puis fait

mouvement de langue et c’est

encore une fois vers le poème

dis-moi quelle figure y prend l’air

 

bruit de syllabes ou présence

en train de changer d’alphabet

nous aimons le pays du Livre

notre vie glissée entre les pages

il y a tout l’inconnu qui cherche

sous le cœur comment se prendre aux lettres

 

ou prémonition active à travers l’attente

une vision travaille en tête

matière d’unité qui

active en nous l’urgence d’être

mais qu’est-ce que la vie ordinaire quand on songe

aux différences dont la parsèment les vocabulaires

 

jouer de l’étranger pour changer la vue

oublier l’enceinte de poussière

une main passe derrière les yeux

raclant la patine des habitudes

nous voici tout à coup ensemble

au désert et l’émotion dresse là-bas

l’horizon d’une langue unique

 

de quelle substance avons-nous le partage

en cet instant où se ferme la bouche

 

le rythme du regard fait danser

autour de nous l’invisible

 

matière qui se matérialise

et ce n’est pas du chant mais

toute une nudité interne soudain

advenue à la pensée que le Néant

primordial nous invite à donner un

habit sublime au dérisoire

on va dans le désert pour voir

reculer à chaque pas l’infini

encore une réalité illusoire

 

les décombres de l’âme dis-tu

et quelque chose d’obscur refroidit les yeux

des sanctuaires de sable

ouvrent leurs portes à l’éphémère

nous revoilà devant l’absence

 

dès que le doute dévore la langue

une limite encercle la vue

 

vapeurs menaces chutes désastre

il n’y a plus que la solitude

des mots passent en perdant leurs lettres

et l’illisible nous crible de sa pluie

 

faible rempart l’écriture

l’obstinée résistance du sens

entre disparition et dissidence

un mystère d’inanité sonore

vivifie l’espace où la pensée

était au bord de sa perte

 

et tout repart une fois de plus

notre vitalité elle seule peut-être

tu fais je fais nous faisons

revenir des ombres sur la page

en traçant là des lignes

 

de l’illusion acceptée s’élève

encore l’énergie verbale

sous les signes respire l’autre dimension

 

futur et avenir ne sont pas semblables

un grouillement ici une gravitation par là

nous passons du pensable à son contraire

enracine ton visage existe et mords

répète en nous la bouche obscure

aime ajoute une autre

il n’y a pas de demi mesure dès qu’on saisit

la plume et qu’elle remue tout en bas

l’antique décharge où sont

entassées les images l’écriture

s’en va manger dans ce chaos

 

les mots dis-tu sont des sacs où le temps

empile du  je  du  il  parfois du  nous

leur ouverture fais déborder le tu

il dormait sous les cendres de l’identité

vidé aussitôt du silence tacite le voilà

réduit à jouer le rôle de l’Autre

enveloppé de quelques lambeaux d’être

 

 

dans le corps ça crée de l’espace

et des points d’attache pour l’infinitif

 

les organes savent ce qu’ils doivent à la conjugaison

 

au jour le jour il faut inventer un

maintenant qui défie la distance

oser l’écoute de la sonorité pure car

une forme d’air suffit à faire

résonner le fil de l’amitié

 

 

 

Tu vois, mon Ami.e, je pourrais me contenter de recopier des poèmes comme celui-ci pour parler de ma vie, cela suffirait peut-être. La narration anecdotique n’est qu’une façon de contextualiser le lieu d’ancrage de ma pratique de lectrice.  Les poèmes sont vivants lorsque je les découvre ou redécouvre dans la coquille élégante des livres publiés, je les aime aussi dans la voix réelle des gens qui les offrent, surtout parmi  les contemporains et les passeurs qui la partagent sans chercher à la monnayer comme une denrée de consommation . Certes il faut payer l’impression des livres, mais je n’ai jamais cru que la poésie était une exclusivité et un métier. Elle appartient à tout le monde, à tout moment, en toute langue, elle doit circuler sans taxe, ni douane, elle est le bien commun essentiel en provenance de singularités assumées. Elle est le lien entre les époques et les êtres ouverts et vibrants. Je suis l’amie des enfants, des poètes et des papillons ( et plus récemment , des escargots ! ). Range-toi dans la catégorie qui te ressemble le mieux ( tu peux cocher toutes les cases en même temps !).

Je t’embrasse doucement.

Mth


ETAT DES YEUX | Hiver | 4 Janvier 2021 | Laisse écrire… Laisse d’écrire…

 

lundi 4 janvier 2021

MUSEE PICASSO ANTIBES

 

Tout commence à se jouer dans le rituel d’écriture journalière. Ici, se concentre une recherche de ligne de fond, une trace de faille tectonique entre plusieurs espaces : l’intime, le privé et le public. La sincérité est réelle, la vérité reste subjective et sans doute changeante. On ne pas tout dire et écrire, contrairement à ce que l’on peut imaginer en lisant les autres. C’est une question à la fois morale et technique. Le respect de la vie des autres et l’impossibilité de maîtriser totalement toutes les potentialités d’une langue maternelle sont les balises les plus voyantes. Le passage obligé sera la relecture et la censure. Je n’ai pas envie d’émietter le sens, bien au contraire, je cherche une condensation de mes pensées vives au contact de textes qui me percutent et me font bouger dans la langue écrite. Je parle tout haut ce que j’écris pour voir si ça tient facilement dans la voix, dans le souffle. J’essaie de réduire la longueur de mes phrases. Cela me coûte car j’aime cette glissade dans ce qui s’installe sur ma page, cette contagion sonore des mots qui dérapent vite en langage poétique. J’aime les mots qui ne restent pas à leur place, qui se rebellent, qui se déguisent pour déjouer la monotonie et la morosité des propos. Je me sens comme un jeune chien femelle encore un peu crédule, qui attend qu’on lui rallonge sa laisse pour bondir dans les flaques, le dehors est si tentant, mais il faut monter la garde devant la maison des mots , qui est aussi par expérience la maison des morts.  Quelque chose qui ressemble à un passage du Styx un peu trop récurrent. Mais je dois aimer cela finalement, cette proximité avec les revers de la vie, leurs lisières de fourberies et d’effondrements. J’aime rire toutefois, et l’enfance autour y pourvoit. Comme elle est intermittente ici, j’ai le temps d’arranger un peu les sépultures de mes émotions majeures. Écrire est une façon de poser des fleurs sur le sentiment d’exister, ce n’est pas une occupation anodine. Aujourd’hui, j’ai envie de relire Bernard Noël, qui s’éloigne de plus en plus de nous, mais en douceur, car il est bien entouré… mais ne peut plus lire… trop fatigué… Je le lis dans son Lieu des Signes, pages 56 et 57, Editions Unes, 1988 :

 

                            NOTE  II

Pouvoir passer

pouvoir dire à demain ou plus tard,

pouvoir dire hier ou autrefois,

c’était l’ombre des organes.

Maintenant, toutes les  faces du volume sont  visibles

à la fois.

Maintenant,

me voici en un monde où les paupières

ne servent qu’à dormir

 

|||

 

                   NOTE III

Milieu du milieu du milieu

à perte d’œil,

mais l’œil ne perd jamais :

un autre œil le relaie,

le regarde,

l’oblige à s’auto-regarder

et multiplie son pouvoir.

Œil dans l’œil

oeil corps d’yeux,

œil os du temps.

 

Bernard Noël est un auteur que je lis fidèlement, il est aussi important que Charles Juliet pour des raisons différentes et complémentaires. Leur conception de l’écriture diffère et j’aurais voulu qu’ils puissent parvenir à nous restituer quelque chose de leur rencontre. Cela fait partie des choses incroyablement difficiles à évoquer.


ETAT DES YEUX | Hiver | 3 Janvier 2021 | Ce que dedans concocte...

DEMAIN Demain commence aujourd'hui

Photos Marie-Th Peyrin (c)

Tu regardes autour de toi. Tu es cernée par les piles de livres, les boîtes à rangement de toutes les archives récentes de ta vie. Cela te plaît mais tu n'es pas satisfaite. Ici est trop petit pour accueillir  tes projets de livre. Tu rêves de ta grande maison d'Ardèche, celle où tu as grandi ... Mais tu n'es pas à plaindre, tu la retrouveras après la Pandémie. Tu n'es pas dans le besoin. Tu as du temps et tu es motivée. Tu n'as pas d'excuse sauf les jours où le corps grince et ahane, tu ne peux pas surmonter sans grogner l'enquiquinement des sensations douloureuses et éviter de les combattre à perte par salves de médicaments. Tu rêves d'une vitalité indolore qui te pousse vers ta table de travail, qui est elle aussi encombrée par l'ordinateur. Tu n'écris que sur écran depuis plusieurs années , sauf pour les notes consignées dans une multitude de carnets dépareillés. Ton graphisme y est épouvantable car tu n'as jamais le stylo adéquat pour dessiner de petites lettres appliquées. A chaque fois tu penses à l'école et à l'apprentissage, aux souvenirs de plume, d'ardoise et d'encrier en porcelaine qui te reviennent... intacts... Avec les procédés modernes tu pourrais faire davantage d'efforts , mais tu veux faire vite... Pourquoi ?  Tu fais souvent plusieurs choses à la fois  comme la plupart des femmes, penser aux autres fait partie de ton comportement, mais tu as moins de tâches à faire sauf en présence de l'enfant certains jours. Et tu vis avec un compagnon solidaire et serviable. Tu te souviens pourtant de tes journées de mère  et de mère au travail comme des prouesses quotidiennes et tu mesures la différence... Ta fatigue n'a plus les mêmes effets, tu dors beaucoup moins, tes rêves sont plus tourmentés et tu es contente d'être réveillée pour profiter de la lumière et de l'énergie  rechargée. Tes soucis sont de nature humaine la plupart du temps. Il y a toujours quelqu'un à épauler quelque part, une cause à défendre, une indignation à rajouter à ton fardeau mental. Tu n'as pas trouvé le chemin de l'indifférence, tu ne sais pas faire et tu ne le regrettes même pas, mais tu n'es pas libre de tes émotions, tu manques de recul sur certaines questions, tu le sais , mais ça ne suffit pas à alléger ta charge mentale. Les techniques de méditation t'aident un peu mais elles sont très perfectibles.  La lecture est ton seul vrai débroussailleur de certitudes, tu ne sais jamais à l'avance comment elle va opérer en toi, mais tu sais à chaque fois si elle est efficace ou non. La poésie a des lames de haute précision et tu la manies avec respect. Tu voudrais savoir mieux fabriquer tes propres outils, pour cela encore, il faut regarder dans les livres et éliminer ce qui est trop éloigné de ta sensibilité. Tu n'aimes pas perdre ton temps, mais tu aimes pourtant le donner aux poètes ou à ceux et celles qui parlent  de l'intérieur avec des mots vrais, des mots justes et suffisants pour que tu te sentes rassasiée. L'écriture des autres te nourrit, la tienne tente de le faire mais avec plus de maladresse et de doute. Ecrire c'est aller vers l'inconnu, tu n'es pas la première ni la dernière à le constater, c'est une aventure passionnante. Aujourd'hui tu te sens prête et tu vas te mettre à l'ouvrage sérieusement. Les textes laissés en jachère vont devoir se confronter à ton jugement et tu sais qu'il ne va pas être tendre. Ton orgueil va en prendre un coup et ce n'est qu'une étape. Car si tu n'essaies pas, qui le fera à ta place ? 

 

3.01.2021


ETAT DES YEUX | Hiver 2020 | Anne SYLVESTRE [1934-2020] Brassens lui a donné une pomme ...

 

Lorsque je partirai, je saurai tout ce que j'ai connu, ce miel caché

et âpre de la terre, cette lueur d'un corps aux ardeurs insensées.

cet inconnu qui habite  le coeur et console le vide . Lorsque je m'en irai tressaillante.

[...]

Choisir ce qui doit nous lier et nous délier  pour passer l'horizon.

 

Sylvie FABRE G. L'autre lumière dans  Frère humain

 

 

ANNE SYLVESTRE 1934  2020 001

 

Les accompagnatrices, Anne Sylvestre, en faisait partie. C'est en écoutant les grandes filles, les jeunes et moins jeunes mères que j'ai compris peu à peu l'importance des mots de femme dans la vie quotidienne. Ce n'étaient pas forcément des plaintes, des plaisanteries plutôt, qui fusaient de leur bouche, et qui curieusement se retrouvaient dans les chansons d'Anne Sylvestre. Je redoutais un peu le non velouté de sa voix et ses mélodies faussement doucereuses, je percevais la colère cachée et je lui en voulais un peu de ne pas se faire entendre aussi fort que ma mère, ses copines, ses cousines.  Leurs messes basses dans la cuisine me plaisaient. Elles modifiaient pourtant la voix et gloussaient lorsque mon attention était trop affûtée. Je devinais pourtant les secrets, les choses moches, les rancoeurs surmontées, les drames ensevelis, les stratégies féministes embusquées sous la soumission. L'homme et le fils rois de la scène domestique, premiers servis ou considérés dans les tablées familiales étaient moqués, mais tout a changé progressivement avec la levée des cuillères en bois au dessus des marmites, les marmailles ont vite compris que leurs mères voulaient vivre et aimer autrement pour ne pas mourir prématurément. On console volontiers les veufs, les femmes de remplacement sont si nombreuses... Il fallait modifier la donne et rétablir l'équilibre entre les êtres pour une liberté d'expression et de mouvement équitable. Le chantier était balisé. Anne Sylvestre après 60 ans de chansons et une audience bien insuffisante vient de tirer sa révérence. Je ne me suis pas rendu compte à quel point j'aimais ce qu'elle était, ce qu'elle représentait et ce qu'elle avait donné aux générations filles et garçons  qui sont celles que je côtoie depuis l'enfance. Je vais rédécouvrir ses textes et elle  m'accompagnera encore , tout le reste de ma vie... Je sais que je ne suis pas la seule... 

Avec ELLE (S)... rien qu'une fois ?

 

Faire des vagues...

C’est l’habitude qui nous manque
On ne sait pas jeter des cris
Hurler contre ce qui nous flanque
La tête aux murs, certaines nuits
On ne sait pas claquer les portes
Fermer ses oreilles et ses yeux
Jeter au diable et qu’il l’emporte
Tout ce qui nous déchire en deux

Un rien, une paille, un copeau
Une plume de moineau
On ne veut pas peser plus lourd
Qu’un geste d’amour
Un rien, une hache, un couteau
Une épée plantée dans le dos
On ne veut pas montrer le sang
 
Qu’on saigne au dedans

Mais rien qu’une fois
Rien qu’une fois faire des vagues
Et tout casser, rien qu’une fois
Dire "Je pleure et vous ne voyez pas"
Dire "Je meurs et vous, vous restez là
Vous restez là"
Rien qu’une fois
Faire des vagues et que ça bouge
Et que le ciel devienne rouge
Qu’enfin on ose donner de la voix
Vous, mes amours, non, ne me laissez pas
Puisque vous me tenez la main
Ce n’était rien

C’est l’habitude qui nous pousse
À ne jamais peser trop lourd
 
À bien éviter les secousses
À faciliter le parcours
On ne sait pas plier bagages
Et profiter du temps qui va
On veut éviter les naufrages
Les bateaux ne le savent pas

Un rien, une paille, un copeau
Une plume de moineau
On ne soupire pas plus fort
Qu’un enfant qui dort
Un rien, une hache, un couteau
Une épée plantée dans le dos
On dit que ça nous gêne un peu
Que ça ira mieux

Mais rien qu’une fois
Rien qu’une fois faire des vagues
 

ANNE SYLVESTRE DISCOGRAPHIE 001

 

 

 

 


Texte pour l'Expo SANCTUAIRES du Peintre Thierry CARRIER à la Galerie Catherine MAINGUY | 11 Novembre 2017

 

On ne va pas vous mentir  

Ici, dormir est difficile     

Dormir là-bas sera difficile     

Dormir n’est pas tellement le sujet

 

CHAMBRE 1642 THIERRY CARRIER Collection Privée 001 (2)

 

Carré 30  1er Mars 2018 | Nous voici à l’  Hôtel Short Stay , Chambre d’ Hôtel # 1642

Texte inspiré d’un tableau de Thierry CARRIER  ( Collection personnelle)

 

 

À la manière de Raymond CARVER

 

 

ON S’ENFERME DEHORS,

PUIS ON ESSAIE DE RENTRER

On sort simplement et on ferme la porte

sans réfléchir. Et quand on regarde

ce qu’on a fait

il est trop tard. Si ça a l’air

de résumer une vie, je veux bien

Raymond CARVER

 Chambre 1642

Ça n’a pas fait un pli, l’Hôtel Short Stay était bondé. On n’a pas pu choisir la chambre, car tout s’est enchaîné. La route enneigée. Le brouillard dégoulinant. Les essuie-glaces explosés.

On n’a pas voulu rouler plus longtemps sans visibilité suffisante dans le pare-brise.

Au hasard, on s’est arrêtés. Mais tu as craint le pire, un tarif à la tête du client, des prestations imposées et un confort sans charme, standardisé, des gadgets électroniques qui ne servent à rien ou à se croire riches.

Et cela tu ne le supportes pas. L’idée de luxe et de surtaxe te répugne.

Tu repenses à la Mère adolescente rebelle contrainte à nettoyer la crasse, et à juguler le désordre chez les Grands Bourgeois des Monts D’Or, des « parvenus » comme elle disait.

Bonne à tout faire, à quatorze ans. La galère, avec un salaire de misère qu’elle rapportait intégralement, chaque fin de mois, à la Belle-Mère.

           -Si tu tiens absolument à t’acheter un manteau pour l’hiver, tu dois économiser !

Parquets à la brosse, avec les vexations en prime. 

           -Il a encore marché sur le mouillé pour aller aux cabinets… il le fait exprès !

          Dans son for intérieur, elle traduisait toujours le double-fond des remarques : Tu n’as pas la bonne classe sociale. Tu n’as pas le sou, peuchère. Tu dois rester jolie, polie, affable, serviable, aimable, corvéable… à la per-fec-tion. Tu dois encaisser le cauchemar ancillaire ancestral ! Je compte sur toi.  Compris, Cosette ?

-Très bien Monsieur, je ferai exactement ce que veut Monsieur ou Madame.

Bla- bla – Bla -Reblabla et Basta !  J’emprunterai l’escalier de service, et dormirai avec ma bouillotte dans la soupente.

 Vous mettrez vos pieds où vous voulez et sous la table à dix-neuf heures pétantes !  Je ne serai pas négligente, ni indolente, ni exigeante et encore moins insolente. J’ai pigé. Il faudra filer doux… Pas de vague … Pas de complication…Mais vous me retardez, là… Vaquons donc… Va - quons !

Dès le hall d’entrée cossu de l’Hôtel Short Stay j’entends mentalement ce vieux récit de ma mère… Lancinante et lourde réminiscence…

Non mais dis donc ! Ça ne va pas recommencer, ici … en 2018 ? Si ? Dites -moi que je rêve… Une femme ou un homme va se coltiner les corvées après notre passage, se casser le dos pour refaire le lit à la vitesse de la lumière, pourtant blafarde ? À peine 5 minutes dans chaque piaule et ce sera le marathon des aspirateurs, le ballet des lingettes humidifiées déchirées dans de vieilles cotonnades, car ici, voyez-vous, on est éco-responsables et on rabote les coûts sur tout…

Bien tirer le dessus-de lit pour qu’il tombe bien droit, débarbouiller la moquette, virer les serviettes éponge, les draps, vérifier les taches coriaces et changer le sac poubelle douteux de la salle-de bains… ne pas le changer s’il n’a pas servi (consigne officieuse).  Mais pour l’heure le petit personnel préposé au ménage ignore que tu n’aimes pas laisser ta propre saleté, ni ton désordre derrière toi, tu détestes la leur imposer, alors que tu pourrais toi-même évacuer tes déchets et remettre tout d’aplomb. Tu n’es pas malade ni manchotte, pourquoi te ferais-tu servir comme si c’était le contraire ?

Tu penses à la personne qui devrait faire ce boulot, l’invisible, la furtive, la sous-payée, la boule de nerf permanente, celle qui ronge son frein, sa colère… Tu penses au jeune enfant ou à la fratrie réveillés trop tôt le matin et qu’elle retrouve tard le soir bien après les devoirs, qu’ils font à l’étude, toute la journée dans le bruit collectif cantine comprise. Tu imagines ses horaires impossibles, coupés, avec un trou au milieu qui ne lui permet pas de rentrer chez elle.  Elle en profite pour laver des vitres à la sauvette, au black, chez un commerçant, à trois stations de Tram de l’hôtel. Un appoint qui permet de payer le gaz, c’est déjà ça, c’est déjà ça… lui chante Souchon. Elle mène son combat quotidien avec courage et beaucoup de cran, ne sachant pas quand le corps va lâcher, ni quand la douleur lancinante va s’installer dans ses articulations, et la honte sourde de s’alourdir en mangeant trop vite et trop mal…Le manque de sommeil et de répit vont se payer au centuple au bout de son temps… Bête de somme moderne. Ne pas y penser… Toi, Si ! Tu y penses ! Tu y penses ici précisément !

Lorsque vous rentrez en couple dans cette chambre 1642, c’est le choc visuel, complètement silencieux ! La blancheur des trois oreillers, l’absence de halo sous la lampe grise, le satin lie de vin du dessus-de -lit vous sautent à la gorge… Est-ce là que vous allez passer la nuit ?  Est-il possible de dormir en dérangeant cet ordonnancement lisse, excessif et anonyme ? Un sentiment de gêne s’incruste dans vos gestes, une vergogne insidieuse vous pénètre par le boomerang du regard… Tu chuchotes quelque chose dans l’oreille de ton compagnon et tu refermes la porte de la chambre 1642. Non ! Vous n’y dormirez pas ! Tu vas rendre la carte magnétique dorée et vous réglerez la somme réclamée pour le désistement. Tu glisseras une explication très rationnelle au standardiste éberlué :  La couleur vineuse du dessus-de-lit est pour nous rédhibitoire ! Excusez-nous, quand on paye, le client est Roi, n’est- ce pas ?

 

M.T PEYRIN

 

 


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Quatorzaine

 

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Extrait flou d'une Biennale d'Art Contemporain au Musée Confluences

 

la parole est un noeud dans le ventre, ce noeud rentré est

l'ombilic. La parole dit le lien et la séparation. Le ventre est le

lieu, le lien de séparation. Il n'est pas nécessaire de comprendre.

Il suffit d'accueillir les mots qui me quittent.

 

Michaël Glück , ciel déchiré après la pluie

 

 

Quatorzaine

 

Le premier mot du confinement est  consternation

Le second est information

Le troisième est explication

Le quatrième est expérimentation

Le cinquième est compassion

Le sixième est séparation

Le septième est distanciation

Le huitième est concertation

Le neuvième est émotion

Le dixième est réflexion

Le onzième est connexion

Le douzième est évolution

Le treizième est confusion

Le quatorzième est décision

 

[...]


ETAT DES YEUX | Printemps 2020 | Sous la lampe de jour et de nuit de Colette

 

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"Je voulais que ce livre fût un journal

Mais je ne sais pas écrire un vrai journal,

c'est à dire former grain à grain, jour après

jour, un de ces chapelets auxquels la préci-

sion de l'écrivain, la considération qu'il a

de soi et de son époque, suffisent à donner

du prix, une couleur de joyau, garder l'insolite,

éliminer le banal, ce n'est pas mon affaire,

puisque ,  la plupart du temps, c'est l'ordinaire

qui me pique et me vivifie. A me promettre de

ne plus rien écrire  après...

[... ] Que mon lecteur s'y résigne : lampe de jour et

de nuit, bleue entre deux rideaux rouges,

étroitement collée contre la fenêtre comme

un des papillons qui s'y endorment le matin,

en été, mon fanal n'éclaire pas d'événements

de taille à l'étonner. ".

 

Colette, Le fanal bleu

 

Dimanche de Pâques .  

J'écoute une émission sur Colette ce matin...

"J'ai bonne envie de dire"... comme  cette ancêtre de littérature, que je n'ai pas vraiment lue jusqu'ici,  ce que j'ai en tête aujourd'hui,  "collée" à la baie vitrée et à l'écran d'ordinateur...

Cela n'a pas grand chose à voir avec elle. Mais sa légende m'intéresse... son "bonnet d'astragan" en guise de chevelure... Sa liberté de comportement, son goût pour les marginaux et la rusticité dans ses relations. Ses défiances contre les "suffragettes" et ses encouragements pour un féminisme au quotidien... Dans la vie comme au cinéma , "il n'y a qu'une bête" et "les secrets des simples"...

Je pense à toutes les fêtes de Pâques traversées depuis ma naissance, la plupart amnésiques. La tradition des poules dodues et des poissons plats en chocolat, des mini-oeufs en sucre parfaitement écoeurants, dont nous nous gavions pourtant pour sentir la liqueur sous la dent, exorbitant luxe familial  annuel associé à la messe et aux cloches tambourinantes. Il y a belle lurette que je ne vais plus à la messe, je suis une mécréante assumée qui songe avec tendresse et ironie à tous ces mensonges de l'éducation parentale, eux-mêmes piégés par leur formatage social et culturel. Le rituels chrétiens ont disparu de ma vie, sauf pour les inhumations où je ne peux que respecter les choix des morts et de leurs représentants mais je me refuse à réciter les prières imprimées dans mon cerveau, à chanter des chants laudateurs et culpabilisants. La liturgie me semble à chaque fois artificielle, outrancière,  complètement détachée de l'affectivité des survivants. "Ne pleurez pas ! " Bien, sûr que si !  " Laissez - le ou la entrer dans le Royaume de Dieu " !  Encore faut-il qu'il existe !  Ici-bas , il s'appelle inquisition, terrorisme, scandale pédophile, carcan comportemental, patriarcat rétrograde... Dieu n' y est pour rien 'y 'existe pas... Si ?  et s'il existait, il faudrait lui demander des comptes, non ? La religion n'a été inventée que pour capter des richesses et réguler l'expansion des graffitis sur les murs des lamentations. L'humain est démuni, impuissant, fragile et il réclame depuis la naissance une protection supérieure, un modèle d'identification et des repères pour tracer son destin... Le sentiment d'appartenance à une croyance collective le rassure et l'enferme dans des doctrines qui le dépassent et le contraignent. L'aspect commercial des festivités religieuses est un prosélytisme déguisé difficilement évitable. Avec la mondialisation et le mélange des cultures il devient une Babel Babylonienne où nous picorons des distractions conviviales. Aujourd'hui nous ne ferons pas la chasse aux oeufs avec l'enfant dans un jardin... Nous ne lui parlerons ni de  Jésus, ni de la résurrection, ou alors s'il s'y intéresse, comme un conte de fée un peu glauque ... La semaine sainte est confinée  et elle évite des contaminations. C'est un bien commun que de suspendre ces rassemblements  dans les circonstances actuelles. Cela me fait réfléchir sur le statut de la spiritualité et de ses effets grégaires dans nos existences. Nous ne renoncerons pourtant pas aux petits oeufs qu'on cache, nous en répartirons dans l'appartement, mardi prochain, avec un plan d'île aux trésors...